Fiche de lecture "AGRESSIVITE, CULPABILITE ET REPARATION " - Donald W. Winnicott – Edt PBP 1984 – Edt 1994
«On découvre au cœur de chaque être humain, les mêmes éléments, bons et mauvais, que dans les relations humaines. » (P13) De l’agressivité du nourrisson en relation au sein, Donald W. Winnicott décrit 3 étapes qui font le cheminement pulsionnel du nourrisson dans son interaction avec l’objet sein : l’avidité fusionnelle qui calme ses douleurs internes et apporte l’apaisement physique et psychique, la naissance du péril du sein de son fait et la nécessité d’un compromis pour éviter la disparition de celui-ci, la séparation entre amour et haine, douceur et agressivité, composantes de lui-même de son environnement interne. Ainsi l’enfant dès sa naissance est constitué de pulsions de vie et de pulsions de mort au cœur de lui-même, qui font sa relation à lui-même et aux autres, consciemment et inconsciemment, tout au long de sa vie. Le dilemme repose entre la contenance de l’agressivité interne conduisant à l’inhibition et à la dépression, l’expression de celle-ci visant à faire de cette pulsion destructive un acte sublimé reconnu positivement par soi et l’environnement, c’est en ce sens que la réparation est sublimation. Winnicott pose la problématique chez l’enfant ou l’adolescent de l’input et de l’output, c’est-à-dire de l’absorption et de l’expulsion. En d’autres termes comment entrer en relation avec l’externe quand le besoin s’impose pour l’interne que son agressivité s’exprime ? Winnicott nous dit que toute agressivité est une forme qui renferme une culpabilité qui cherche à se décharger d’une manière ou d’une autre. Seule la conscience de la culpabilité et de son expression brute peut conduire à la sublimation de celle-ci.
Comme signification théorique Winnicott nous dit que l’agressivité « est d’abord une réaction directe ou indirecte à la frustration. Elle est aussi l’une des deux sources principales d’énergie chez l’individu. » (P28), il ajoute que « bien souvent, les pulsions agressives s’expriment par leur contraire au lieu de s’exprimer ouvertement » (P28). Ainsi Winnicott constate que l’agressivité est à la source de la motricité de l’enfant bien avant sa naissance et après, ce n’est pas de l’agressivité comme nous l’entendons en termes de destruction. C’est au contact des objets externes que le nourrisson prend conscience de l’objet non-lui et par l’interaction dont il prend part que ces agissements brusques ont signification d’agression pour l’autre et non pour lui. Il va émerger l’idée, pour le nourrisson, de protéger l’objet aimé, tout en étant sous l’emprise de sa pulsion interne qui est un moyen d’expression inconscient.
Alors que l’auteur nous dit que tous les êtres humains sont semblables dans leur développement il existe une différence entre les enfants :
• Il y a l’enfant dont l’agressivité s’exprime et s’épuise pour soulager ses tensions internes.
• Il y a l’enfant qui pense que l’agressivité illimitée vient de l’extérieur et est alors « craintif » à l’idée d’être entrepris par cette agressivité. Chez l’enfant craintif un processus inconscient de projection sur l’environnement de sa propre agressivité contrôlée ou refoulée inconsciemment en interne puisse se retourner contre eux venant de l’extérieur, ceux-là répondent par une agressivité pour se défendre.
• Il y a l’enfant qui garde son agressivité. Il présente une certaine inhibition des pulsions. De ce fait sa spontanéité et sa créativité sont freinées mais néanmoins « cet enfant commence à pouvoir se maîtriser, penser aux autres et protéger le monde extérieur de sa propre cruauté. » (P32). Néanmoins le maintien ne dure qu’un temps et ses pulsions agressives ont de temps en temps raison de lui et s’expriment sans raison apparente sous forme de crise et de colère. Nous savons que les éléments refoulés dans l’inconscient peuvent bien heureusement s’échapper par des voies d’allégement. Winnicott nous signale que le rêve permet à cet enfant d’élaborer des scénarios d’agressivité et de meurtres qui lui permettent d’extérioriser ses pulsions refoulées jusqu’au moment où l’objet d’amour est concerné et dans ce cas l’enfant se réveille sous l’œil bienveillant de la figure maternelle.
Dans le premier et le troisième exemple Winnicott nous donne l’idée que l’agressivité est constructive dans le sens où elle permet de libérer une tension interne et d’autre part que la pulsion agressive n’atteint pas intentionnellement l’objet aimé, au contraire l’enfant préserve l’objet. Pour ce qui est du deuxième cas Winnicott parle de pathologie du développement.
Le symbolisme apparait très tôt dans la vie de l’enfant nous dit Winnicott. Qu’il soit le pouce, le nounours ou encore le bout d’étoffe l’enfant pourra extérioriser son agressivité sans détruire l’objet aimé : « II permet à l’enfant de faire l’expérience de la réalité psychique, nécessaire pour que se développe en lui le sens de sa propre identité et où il trouvera l’agressivité aussi bien que l’amour » (P34). L’enfant a besoin d’exprimer ses pulsions qui sont lui et dont il est constitué. Il poursuit en soulignant que la construction est issue de la capacité de destruction dans le cadre des limites instituées par les figures parentales. Ce qui est construction pour l’enfant passe par l’identification aux figures à travers ses jeux et expériences et demande indirectement l’approbation de son environnement, l’approbation de ses actes qui ont sens pour lui. Dans le cas contraire l’enfant se sent imitateur bafoué de ses capacités et son incompréhension donne lieu à l’expression de son agressivité qui pourrait traduire « Ne comprenez-vous pas que j’essaie d’apprendre et comprendre ce que vous êtes et qui je suis ?. »
Et si Mordre le sein était un excès de désir qui a besoin de l’agressivité pour exprimer le désir de l’enfant d’entrer en fusion avec le sein ? « L’union entre l’agressivité et l’amour prend sens au moment où l’enfant a envie de mordre, c’est-à-dire vers cinq mois. Cela fera plus tard partie du plaisir de manger des aliments variés » (P35) La nourriture du sein est tellement apaisante, calmante, que l’enfant a le désir de le manger tout entier alors il le mord pour se fondre dedans. Rappelons qu’à cet âge de 4 ou 5 mois l’enfant est dans sa phase orale ne fait qu’un avec la figure maternelle elle est pour lui un prolongement de lui-même.
Winnicott nous que plus tard « Faire mal fait partie de la vie de l’enfant, et il s’agit de savoir comment votre enfant va apprendre à utiliser ces forces agressives pour vivre, aimer, jouer (et plus tard) travailler » (P36) L’agressivité de l’enfant n’est pas « donner la mort ou enlever la vie » telle que l’adulte l’entend. Le rôle éducatif des personnes qui sont dédiées à l’éducation de l’enfant est de poser les limites à l’enfant afin qu’il ne détruise ni lui-même ni son environnement.
En d’autres termes, Winnicott nous dit que si la pulsion de destruction n’est pas liée à la pulsion d’amour par une forme de régulation transmise par l’adulte et intégrée par l’enfant, alors il y a destruction de l’objet. À l’inverse, comme je tente de le montrer par le schéma ci-dessous, si la pulsion d’amour et la pulsion de destruction sont régulées par la figure éducationnelle et intégrée par l’enfant alors il y a construction de l’objet.
Mais qu’est-ce que la capacité de sollicitude ? Winnicott nous dit en d’autres termes qu’une régulation efficace entre les deux pulsions d’amour et d’agressivité permet à l’enfant d’apaiser et stabiliser son ambivalence vers l’objet. Quand la pulsion destructrice est dominante, elle fait face à la pulsion de vie et entraîne un sentiment de culpabilité qui induit un conflit interne chez l’enfant. Ainsi quand il est dit « capacité de sollicitude » c’est tout d’abord de l’enfant vers l’enfant pour ensuite s’exercer vers la mère et vers l’environnement. En employant le terme de régulation, terme que j’emploie, il est compris que la régulation de la mère citée par Winnicott « suffisamment bonne » va apaiser les pulsions agressives de l’enfant pour qu’elles viennent s’équilibrer avec les pulsions de vie, d’amour. Rappelons que cet équilibre permet à l’enfant de passer de l’inquiétude de soi à la quiétude interne. C’est ensuite que la mère va prendre une dimension supplémentaire, une forme d’interface entre l’enfant et l’environnement. La nature essentielle de la figure maternelle à ce moment de la vie fait fonction de régulateur de l’enfant à lui-même et de l’enfant à l’environnement. Winnicott signale que dans l’interaction de l’enfant à la mère c’est à ce moment que la mère objet pend forme c’est-à-dire qui se sépare de l’enfant qui vivait cela auparavant comme un tout, un prolongement de lui-même : « la sollicitude exprime le fait que l’individu se sent concerné, impliqué et que tout à la fois, il éprouve et accepte une responsabilité. » (P40)
Il est intéressant de noter que la capacité de sollicitude est un processus de maturation qui nécessite un environnement suffisamment bon, en d’autres termes je pense que l’auteur nous dit qu’il s’agit que la figure maternelle doit posséder elle-même cette capacité de sollicitude pour que l’enfant ne soit plus objet de la figure maternelle mais bien considéré comme une entité à part entière.
Pour définir la mère objet et la mère environnement voici ce que dis l’auteur : «…la mère qui est un objet ou détient l’objet partiel propre à satisfaire les besoins immédiats, et la mère qui est une personne veillant à écarter l’imprévisible et qui d’une façon active soigne et dirige. » (P44) L’idée de cette élaboration de la maturation de la capacité de sollicitude est que le développement de l’enfant via l’étayage de la mère et de ses fonctions lui permettra d’acquérir son indépendance en se séparant dans un premier temps de la mère objet qui répond aux besoins instinctuels de l’enfant puis dans un deuxième temps de la mère environnement qui protège et dirige. La maturation de la capacité de sollicitude s’élaborera dans un premier temps par rapport à soi puis dans un deuxième temps par rapport à l’environnement dans lequel l’enfant pourra progressivement se diriger par lui-même. Cela conduit à dire que la stabilité de l’ambivalence entre pulsions agressives et pulsion d’amour conduit à la capacité de sollicitude.
L’élaboration de la maturation psychique du nourrisson conduit ce dernier à ressentir l’ambivalence de ses pulsions, c’est-à-dire entre le risque de détruire et le besoin de préserver le sein (la figure maternelle). Winnicott l’explique ainsi : « Si tout se passe bien une technique s’établit pour résoudre cette forme complexe d’ambivalence : le nourrisson éprouve de l’angoisse parce qu’il perdra sa mère s’il la dévore ; toutefois cette angoisse est modifiée par le fait qu’il a une contribution à faire à la mère environnement. » (P47) plus loin « L’angoisse retenue de cette façon se transforme qualitativement et devient sentiment de culpabilité » (P47). En d’autres termes le nourrisson ne peut pas détruire ce dont il a besoin au risque de se détruire lui-même. C’est ici que la réparation apparaît, c’est-à-dire que l’agressivité du nourrisson conduit au sentiment de destruction du sein et puisque l’enfant veut préserver le sein il doit le réparer en lui donnant l’affection comme une offrande nous dit Winnicott. Ce processus archaïque me fait penser à l’élaboration d’un processus de sublimation celui-ci étant bien entendu inconscient et archaïque tout en sachant que le processus de sublimation verra son avènement au sortir de l’œdipe. Winnicott ajoute « De cette façon, la culpabilité n’est pas ressentie, elle reste dormante ou en puissance et elle apparaît (comme la tristesse ou une humeur dépressive) seulement si l’occasion de réparer vient à manquer. » (P47) L’idée de la présence de la mère est donc indissociable de ce processus de maturation pour recevoir les sollicitudes et affections du nourrisson. Notons que l’auteur fait allusion à la phase dite « dépressive » par M. Klein entre 6/8 mois et 12/18 mois.
Par ce processus d’élaboration psychique le nourrisson apprend progressivement à ressentir sa capacité à donner l’affection nécessaire à la réparation, et il devient impliqué dans la relation duelle avec la figure maternelle et développer ainsi sa capacité de sollicitude sans oublier que la culpabilité issue de l’angoisse reste en suspens. Je terminerai ce chapitre en reprenant Winnicott qui décrit l’importance de la relation réciproque figure maternelle-enfant : «… la mère en continuant à exister et à être disponible, est à la fois la mère qui reçoit la totalité des pulsions instinctuelles du petit enfant, et également la mère qu’on peut aimer comme une personne et à qui l’on peut faire réparation. De cette façon l’angoisse relative aux pulsions instinctuelles et les fantasmes deviennent supportables pour le petit enfant, qui peut la garder en suspens dans l’attente d’une occasion de réparation. A cette culpabilité qui est ainsi contenue, mais non ressentie comme telle, nous donnons le nom de sollicitude. » (P51).
Dans le sens inverse si l’absence de la figure maternelle est prépondérante, alors la culpabilité et l’angoisse prennent une place importante et restent ancrées tout au long du développement psychique de l’individu comme un poids de culpabilité archaïque.
Alain Giraud