auteur : Alain GIRAUD ©2023
Par définition la phobie est inexplicable et c'est bien ce qui fait le caractère irrationnel de la peur qui est ressentie. A contrario la peur a une explication rationnelle qui est liée à un événement traumatique qui a été vécu par le sujet. Le sujet peut surmonter sa peur ou accepter de ne pas la dépasser pour une raison ou pour un autre qui lui apparaîtra logique et légitime. La phobie dont la raison n'est pas consciente appartient à une problématique psychique refoulée dans l'inconscient et incontrôlable par le sujet. C'est bien ce qui fait sa particularité et handicape l'individu dans sa vie quotidienne. En d'autres termes la peur a une raison consciente que la phobie a enfouie dans l'inconscient, c'est-à-dire refoulé. Au fait phobogène veut dire « agent de phobie », c'est-à-dire la pensée, la situation qui va déclencher la phobie. En d'autres termes sur la différence entre peur et phobie, Paul Denis écrit dans son ouvrage de 2011 : « la phobie est une peur irrationnelle, donc, une crainte excessive, maladive de certains objets, actes, situations ou idées. C'est ce caractère déréel qui distingue cliniquement une « phobie » d'une « peur ». La peur, elle, est liée à un danger perçu de façon réaliste ou à une expérience traumatique antécédente. »
La phobie est une peur sans raison réelle. Elle traduit une angoisse indicible, difficilement conscientisable, puisque justement elle est refoulée dans l'inconscient.En 1933 S. Freud écrit que « Le développement d'angoisse est antérieur, la formation du symptôme postérieure, comme si les symptômes étaient créés pour éviter l'irruption d'angoisse». En effet l'angoisse, dans le symptôme va protéger contre l'insatisfaction affective, pulsionnelle, refoulée dans l'inconscient. Donc il y a eu une situation, puis l'angoisse, ensuite la formation du symptôme c'est-à-dire la phobie qui vient protéger de l'angoisse. Toujours dans le même article (1933), S. Freud écrit que "C'est l'angoisse, qui produit le refoulement et non, comme nous le pensions, l'inverse, et une situation pulsionnelle redoutée remonte, au fond, à une situation de danger extérieur ». En d'autres termes S. Freud nous dit que c'est un fait dans la réalité extérieure du sujet qui a produit une réaction émotionnelle si forte et angoissante pour lui que le mécanisme psychique de défense inconscient du moi c'est automatiquement mis en fonction pour refouler le fait ou la situation dans l'inconscient. Ce mécanisme a ensuite pris pour cible symbolique une autre situation ou objet phobogène dans la réalité extérieure pour représenter, projeter, la peur qui a été refoulée. C'est bien ce parcours psychique assez compliqué qui fait que la source, l'origine, et le fait ou la situation sont incomprises donc irrationnelles.
Prenons un exemple unique qui ne peut pas être associé à un autre cas particulier et qui dans le cas contraire serait une erreur. A 10 ans Victor fait sa rentrée des classes normalement. Au bout de 3 jours il refuse d'aller au collège prétextant que l'ambiance est angoissante et qu'il ne supporte pas d'être enfermé 8 heures par jours avec d'autres jeunes dans une salle avec des profs plus ou moins sympathiques. Une semaine après Victor refuse toujours et ainsi de suite pendant des semaines. Une enquête a été faite par le psychologue scolaire qui a diagnostiqué que Victor était victime d'une phobie scolaire puisque la source restait inconnue, puisqu'il n'avait ni été violenté, ni racketté, ni rejeté, etc. Plusieurs séances de psychothérapie ont permis de comprendre que cette situation apparemment banale avait fait ressurgir symboliquement et inconsciemment chez l'enfant un traumatisme psychique beaucoup plus ancien de séparation insupportable à cette époque et durant laquelle la maman avait été mise en danger.
Nous comprenons que la situation ou l'objet phobogène symbolise et protège d'une angoisse qui a été si insupportable au sujet à l'époque et qui a été refoulée aux oubliettes dans l'inconscient. C'est la représentation anticipée, c'est-à-dire l'image psychique ou imaginaire du sujet qui va se représenter l'objet ou la situation, qui va déclencher une alerte c'est-à-dire une manifestation anxieuse qui pourrait amplifier si le sujet se retrouvait dans la dite situation. En 1895 S. Freud avait déjà analysé le comportement anxieux du sujet phobique en proie à l'objet phobogène : « On ne trouve jamais autre chose que l'état émotif, anxieux, qui par une sorte d'élection a fait ressortir toutes les idées propres à devenir l'objet d'une phobie. » Ainsi l'idée anticipée de se retrouver dans telle ou telle situation provoque une manifestation anxieuse de devenir l'objet de l'objet phobogène. Dans ce sens l'objet phobogène devient l'agresseur du sujet. Dans son même article de 1895, S. Freud écrit : « Dans le cas de l'agoraphobie, etc., on rencontre souvent le souvenir d'une attaque d'angoisse, et en vérité ce que redoute le malade c'est l'événement d'une telle attaque dans les conditions spéciales où il croit ne pouvoir y échapper. »
Par exemple Pierre n'a pas peur de prendre sa voiture mais à l'idée de se retrouver dans la situation de conduire sur l'autoroute sans pouvoir en sortir en cas de crise de panique représente pour lui un tel danger anticipé qu'il ne peut pas s'y envisager. Par contre il conduit très bien sur les routes nationales et en ville.
Que ce soit, l'école, l'autoroute, et bien d'autres situations, la peur est dite irrationnelle car jamais rien d'extraordinairement grave ne s'y est passé. Mais alors, pourquoi avoir peur de l'eau ( hydrophobie) alors que jamais rien ne s'est produit de grave à cet endroit ? Pourquoi avoir peur de conduire sur l'autoroute (dérivée de l'amaxophobie) alors que le sujet n'y a jamais vécu de traumatisme ? Pourquoi avoir peur de la foule (ochlophobie) alors qu'aucun incident ne s'est jamais produit dans ce cas ? Pourquoi avoir peur de prendre l'avion (aviophobie) alors que jamais rien ne s'est produit dans cette situation ? Pourquoi avoir peur des espaces publics (agoraphobie) ? Pourquoi être angoissé à l'idée d'être enfermé dans un petit espace comme l'ascenseur (claustrophobie) ? etc.
La phobie est une peur irrationnelle qui va trouver son explication dans la symbolique qui est enfermée dans la situation ou l'objet phobogène. La symbolique que renferme la phobie est liée à l'angoisse inconsciente produite par un conflit émotionnel lors d'une situation refoulée dans l'inconscient et qu'il s'agit de comprendre en dévoilant rationnellement le sens de ce qui n'a pas été dépassé, accepté par le sujet. Il ne peut pas être fait de l'objet de la phobie une généralisation car celui-ci (l'objet) a une signification très personnelle au sujet. On pourrait parler d'association inconsciente particulière et significative qui ferait surgir le sentiment de peur chez l'individu.
Les situations de Victor et de Pierre qui sont données en exemple en amont sont liées à leur propre histoire de vie et ne peuvent en aucun cas servir de cas généraux. Pour d'autres patients la phobie peut avoir une tout autre signification.
Par exemple, Lucile avait une phobie de l'autoroute. La symbolique de la phobie se retrouvait dans son impossibilité à se détacher affectivement et psychiquement de son cocon familial, l'autoroute représentant le détachement définitif et sans possibilité de retour.
Bien d'autres symboliques inconscientes à la personne sont évoquées dans chaque cas et demande une recherche précise qui repose sur l'histoire de vie du patient.
Oui, nous avons tous été phobiques dès notre plus jeune âge. Il n'est pas rare de nous rappeler quelques souvenirs des peurs irrationnelles que nous avons pu vivre lorsque nous étions enfants : peur du noir, de la porte fermée, du crocodile sous le lit, du loup, des chevaux, des toilettes, des caves… etc.
Par exemple, Christophe se rappelle que lorsqu'il devait avoir 5 ou 6 ans il ne pouvait pas s'endormir sans que la porte de sa chambre ne soit fermée alors qu'apparemment ou de mémoire jamais rien en rapport à cela ne s'était déroulé. Aujourd'hui Christophe est gardien de sécurité. Est-ce un hasard ? Il ne le sait pas lui-même.
Oui, nous avons tous été phobiques de quelque chose d'inexplicable qui n'est plus dans notre vie actuelle, ce ne sont que des souvenirs. Mais ces souvenirs peuvent rester inscrits dans l'inconscient par refoulement ou au contraire l'émotion de peur du souvenir peut s'évanouir avec le développement psychique de l'enfant et resté comme un souvenir ancien et apaisé.
Paul Denis, dans son ouvrage de 2011, écrit que «trois stratégies inconscientes peuvent se mettre en place pour lutter contre les phobies et gérer les difficultés qu'elles génèrent : l'évitement des situations phobogènes, la transformation de la phobie en « philie » (aimer) et la négation de la phobie à travers les conduites contre-phobiques. » Les stratégies inconscientes sont comme des automatismes mis en place à notre insu qui se déclenchent lorsque la situation phobogène apparaît ou est évoquée. Des sortes de réflexes de comportements et d'émotions de peur.
LA PHOBIE ET LA STRATEGIE D'EVITEMENT
est certainement la plus fréquemment utilisée et qui fait la souffrance de beaucoup de personnes. Ce mécanisme crée des contraintes de vie qui empêchent le sujet dans son quotidien. Il se sent en marge des autres. Dans ses recherches S. Freud en 1926 écrit que « tant que nous étudions la tentative de fuite du moi, nous restons à distance de la formation du symptôme. Le symptôme est la fuite de la motion pulsionnelle lésée par le refoulement. » En d'autres termes ce qui handicape le sujet est bien de se mettre à l'écart de tout ce qui pourrait faire surgir son angoisse.
Hervé disait qu'il s'empêchait de vivre normalement et il restait cloîtré chez lui en évitant de se retrouver dans des situations sociales qui le mettrait en situation insupportable de sentir le regard des gens se poser sur lui.
C'est certainement ce qui pourrait s'appeler une anxiété sociale associée à une blemmophobie. Bien d'autres évitements d'objet et de situation contraignent le sujet à s'écarter de son propre désir qui pourrait lui offrir la satisfaction.
Voici l'exemple de Sabine 20 ans qui est dans une stratégie d'évitement. Depuis l'âge de 15 ans, Sabine est victime de blemmophobie qui est la peur du regard et du jugement de l'autre. Sa phobie la contraint à rester chez elle, elle s'écarte de toute amitié potentielle, à part une amie de son âge qu'elle connaît depuis très jeune. Les parents de Sabine ont été eux-mêmes contraints à prendre en charge les études qu'elle fait par correspondance. Sabine est en psychothérapie depuis 12 mois.
qui en grec veut dire aimer, opposé à « phobe» qui veut dire peur, se retrouve surtout chez l'enfant qui a la capacité de dépasser sa peur en apprivoisant progressivement l'objet phobogène. Comprenons que cette stratégie est plus liée à la rassurance et à la confiance en soi qui font le développement psychique de l'enfant. Paul Denis (2011) écrit « La plupart du temps, les « petites phobies » apparues au cours du développement s'estompent du fait que l'enrichissement des moyens psychiques de l'enfant et la conquête de ses aptitudes corporelles en font disparaître la nécessité. » On peut donc comprendre que l'environnement familial de l'enfant va permettre a celui-ci de dépasser sa peur irrationnelle ou au contraire l'installer de façon plus durable. Paul Denis (2011) écrit au sujet de ces phobies infantiles que l'insécurité affective peut en être le terreau « Dans les observations cliniques, on constate la grande fréquence d'un climat d'insécurité affective comme toile de fond, ou circonstance préalable, à l'apparition d'une phobie infantile. Une séparation inopinée d'avec la mère, des absences très répétées de celle-ci, la naissance d'un puîné. Tout ce qui peut compromettre l'organisation du tissu relationnel de l'enfant et le système d'équilibre affectif qu'il a mis en place est de nature à favoriser l'angoisse et la survenue éventuelle d'une phobie. »
Le cas de Mathieu 6 ans en est l'exemple. Il était fils unique jusqu'il y a 2 ans, naissance de sa sœur Juliette. Jusqu'à l'âge de 4 ans Mathieu était en lien très fort avec sa maman. Depuis la venue au monde de Juliette, il fait des cauchemars à répétition. Il exige que la porte de sa chambre soit ouverte et ne peut s'endormir sans lumière allumée prétextant sa peur du noir. Il ne le faisait pas avant.
est celle comme son nom l'indique qui vient contrer la phobie d'une façon pulsionnelle en faisant abstraction du conflit émotionnel ressenti, c'est-à-dire l'angoisse. L'effort psychique est considérable. Par exemple avec la phobie d'autoroute le sujet va se dire « Je n'ai pas peur d'y aller, d'ailleurs il ne peut rien m'arriver, je suis bien plus fort que cela... » Le sujet nie son émotion de peur – il nie son angoisse - il nie son conflit interne – il affirme sa toute-puissance. Cette conduite contre-phobique excessive peut donner lieu à des conduites dangereuses pour soi et pour l'environnement du sujet. C'est une forme de fuite en avant. P. C. Racamier, R. Diatkine, S. Lebovici, P. Paumelle écrivent en 1970 que « le type contra-phobique, consiste à nier la peur et à faire sans arrêt comme s'il n'en existait jamais ; les institutions organisées d'après ce type de défense sont irrésistiblement conduites à nier en pratique l'existence de la maladie. »
Dans la conduite contra-phobique le sujet va s'opposer à sa phobie en s'obligeant à se mettre dans des situations qui seront valorisées par l'environnement. Albert Ciccone et Alain Ferrant (2015) rappellent que « Les conduites contra-phobique – par exemple se lancer dans des activités aériennes de voltige pour contrer l'angoisse du vide – soulignent à grands traits les soubassements d'angoisses qui les motivent. L'angoisse d'être découvert peut être contrée par une recherche systématique de visibilité publique. La honte d'être vu est alors traitée par une exhibition de soi constante. ». Les conduites contra-phobique contournent les raisons profondes de la phobie et enferment le sujet dans des comportements qu'il adoptera au quotidien. Dans le même ouvrage Albert Ciccone et Alain Ferrant (2015) écrivent que ces conduites mènent à « des logiques de contournement qui s'auto-entretiennent et gagnent un statut syntone au moi. Ces logiques de contournement deviennent alors déterminantes pour l'existence du sujet, orientent ses choix, ses conduites, sans qu'il puisse toujours repérer leur aspect réactionnel. »
Exemple de conduite contra-phobique, lorsqu'il était enfant Olivier rougissait et les enfants se moquaient de lui et les adultes faisaient des réflexions condescendantes à son égard ce qui ne faisait que renforcer sa honte et sa culpabilité. A l'âge de 20 ans Olivier est devenu éreutophobe (la peur de rougir). Pour contrer sa phobie et la faire disparaître il a décidé de se confronter au regard de l'autre et d'en faire son métier. Aujourd'hui c'est un comédien apprécié et reconnu du grand public.
Serban Ionescu, Marie-Madeleine Jacquet, Claude Lhote (2012) écrivent que « Pour les phobiques, la présence d'autrui constitue une défense sans laquelle ils ne peuvent affronter la situation ou l'objet phobogènes. L'autre devient alors un objet contra-phobique, qui a un effet bénéfique sur l'angoisse. » Nous comprenons que la souffrance qui se traduit par une attaque de panique ou une crise d'angoisse sont insupportables pour le sujet phobique qui en est l'objet. La seule idée de se retrouver seul face à la situation phobogène provoque déjà les symptômes phobiques (accélération cardiaque, respiration haletée, tremblements…) . Par contre, le plus souvent, la présence d'un autre sécurisant rassure le sujet phobique et tout devient moins prégnant. Avec cette personne, affronter la situation phobogène devient possible.
Voici un exemple d'objet contra-phobique qui est la présence rassurante et contenante par une personne de confiance. Un jour, alors que Clara était seul dans sa maison, elle va au fond de son jardin pour activer l'arrivée d'eau et elle croise un rat. L'un et l'autre sont surpris par la situation, le rat fuit dans un sens et Clara dans l'autre. Ni l'un ni l'autre n'ont vu leurs réactions propres. Depuis cet événement la phobie du rat (musophobie) a décuplé, Clara ne va plus au fond de son jardin sauf si elle est accompagnée de son conjoint ou d'un homme de confiance. Depuis quelques séances Clara reprend confiance en elle et remarque une nette progression et une baisse d'intensité de ses peurs.C'est une angoisse permanente qui ne quitte pas le sujet et le contraint à agir contre son gré. Paul Denis ( 2011) écrit que « La phobie d'impulsion est constituée par l'angoisse soulevée à l'idée de se sentir contraint à faire quelque chose de dangereux, de grossier ou d'insolite (…) La plus répandue des phobies d'impulsion s'organise autour des objets pointus ou coupants : couteaux, ciseaux, outils avec lesquels on pourrait ou tuer quelqu'un ; mais se porte aussi sur les angles de tables et de meubles contre lesquels il serait possible de se cogner ou se blesser. »
Sabine 25 ans présente les symptômes d'une phobie d'impulsion. Elle disait qu'elle éprouvait d'une manière fantasmée sa peur d'être contrainte à faire du mal à son compagnon avec qui elle vit ou à ses proches à l'aide d'un couteau. Elle réitérait tout l'amour qu'elle éprouvait pour chacun et se reprochait sur un ton de culpabilité cette pulsion morbide qui l'envahissait. Le seul fait de voir un objet tranchant sur son bureau, sur la table de la cuisine, lui faisait monter son angoisse sans pouvoir la contenir.
La phobie d'impulsion crée des pensées obsédantes qui ne quittent pas le sujet. Le danger fantasmé est prégnant.
Il est utile de dire que si la partie immergée de l'iceberg n'est pas traitée il est fort possible que le symptôme réapparaisse dans sa forme initiale ou sous une autre. La peur phobique puisqu'elle est irrationnelle devient d'autant plus handicapante du fait qu'elle est incomprise par le sujet lui-même.
Pourquoi incomprise par le sujet ? Parce que le mécanisme psychique effectue une opération intelligente à notre insu en mettant en place des mécanismes de défense inconscients qui sont appelés entre autre le refoulement, la projection et le déplacement afin de pouvoir décharger partiellement sur un objet ou dans une situation la pression inscrite dans le psychisme et qui est le témoignage du conflit interne. En ce sens, la phobie est la résultante d'un conflit émotionnelle interne enfouit dans notre psychique et qui s'exprime d'une manière déguisée par une peur irrationnelle focalisée sur un objet ou une situation phobogène. Dans l'immense majorité des cas la phobie qui se met en place ne correspond pas à quelque chose de rationnel.
Pour se protéger de la phobie, comme nous venons de le voir, la stratégie d'évitement, les conduites contra-phobique ou le besoin d'un objet contrat phobique, nécessitent une dépense psychique importante pour lutter contre l'angoisse qui pointe dans les circonstances phobogènes. Le risque est que la phobie s'amplifie, s'entretienne d'elle-même, et que le sujet en reste la victime.
Nous avons vu que la phobie est un symptôme, la partie immergée d'un iceberg. Paul Denis(2011) écrit que « C'est sur l'organisation psychopathologique qui sous-tend le symptôme phobique manifeste que portera le traitement, et non électivement sur le symptôme lui-même. »
Effectivement, traité seulement le symptôme ne fera qu'assainir la partie émergé de l'iceberg sans pour autant traiter la partie immergée c'est-à-dire ce qui est caché sous le symptôme, l'aspect conflictuel intrapsychique du sujet en proie à des conflits émotionnels enfouis dans l'inconscient.
Fréquemment la première demande du patient victime de phobie est de comprendre, d'apporter du sens, puis la seconde de s'en débarrasser. J.D Nasio écrit en 2016 "L'écoute apporte le sens et le sens soigne le symptôme". Cela veut que si ce qui est irrationnel devient rempli de sens alors il peut être classé parmi les faits connus et compris par le sujet et n'a plus besoin de s'exprimer par le symptôme.
Il m'est souvent arrivé de dire que le problème de la phobie se trouve ailleurs que dans son apparence mais plutôt dans ce qui la symbolise. À ce propos Paul Denis (2011) écrit « Si la compréhension du sens de ce qui se passe pour eux est importante, l'essentiel reste la compréhension affective, la possibilité de retrouver les sentiments et les souvenirs que l'investissement du système phobique avait fait passer à l'arrière-plan. ». Nous sommes bien ici sur le conflit émotionnel qui est la source de toute angoisse et symptôme qui traduit ce conflit.
En thérapie, il est important de trouver le lien entre la phobie et l'histoire de vie du sujet. Les angoisses sont souvent liées à la perte, la séparation, l'abandon, l'intrusion, au détachement, à l'étouffement. Pour paraphraser J. Bowlby (2002) à propos de « la théorie de l'attachement », un sujet ne peut se séparer d'un endroit qui si sa représentation est sécure pour lui-même pour être certain de pouvoir y retourner en toute sureté.
L'idée est de mettre au grand jour ce qui relie symboliquement l'objet de la phobie à l'angoisse de la perte, de la séparation, de l'intrusion, de l'abandon, ou autre. L'idée de la psychothérapie est de comprendre l'émotion, le traumatisme affectif, pour identifier la raison de la peur, de la situation ou de l'objet phobogène. Il s'agit de comprendre la symbolique qui fait le lien entre le sujet et ce que lui-même appelle sa phobie, son empêchement.
Si le conflit interne qui persiste chez le sujet phobique est dévoilé par le sujet lui-même pour ensuite être réfléchi, verbalisé, alors la motion pulsionnelle qui résiste et produit l'angoisse et le symptôme phobique sera libérée de son enfermement, de son refoulement, et pourra être reconnue par le sujet lui-même et replacée à sa juste valeur : si la conscientisation de l'origine de l'angoisse est dévoilée alors la peur irrationnelle n'a plus d'attache pour exister et la phobie tend à disparaître.
Le traitement de la phobie ne s'arrête pas à la seule compréhension cognitive et émotionnelle de ce qui crée le symptôme. Il est nécessaire de consolider le traitement par une méthode intégrative qui nécessite des exercices pratiques que le sujet fera lui-même entre les séances auxquelles il participera assidûment. Les expériences seront rapportées en séances pour examiner les ressentis et explorer les émotions enfouies. La méthode comportementale (TCC) associée et intégrée à la méthode des Psychothérapie Analytique en collaboration avec le patient est l'une de celles qui présente des résultats durables.
Exemple de traitement de la phobie. Une patiente Patricia, 50 ans, célibataire et professionnellement reconnue dans son corps de métier artistique, décrivait un jour sa panique inexplicable de prendre l'autoroute depuis une vingtaine d'années. Sa seule solution était d'emprunter les routes départementales qui rallongeaient considérablement son temps de conduite et elle en était épuisée. Comment faire dit-elle, pour sortir de ma phobie ? Dans cet exemple, il a fallu tout d'abord définir la symbolique de l'autoroute, en l'occurrence la vitesse, la séparation, le voyage, le départ, quitter ce qui est important. Ensuite, relier cette symbolique à l'émotion négative c'est-à-dire à la peur, l'angoisse, et puis définir ce que contenait l'angoisse de Patricia. Également, il a fallu remonter à 20 ans en arrière au départ de la phobie, au fait symbolique qui était relié à la symbolique de l'autoroute. Puis, il a fallu comprendre la peur panique de la séparation qu'elle refusait d'avec un être cher encore plus tôt durant son enfance pour accepter sa représentation archaïque restée inscrite dans son inconscient d'adulte et qu'elle déplaçait sur une situation phobogène. Elle comprenait que les voies qui rallongeaient sa route étaient symboliquement le temps plus long de sa séparation. Cette personne a su raccorder son refus de quitter son illusion de toute puissance de rattachement à l'être aimé pour enfin se détacher sereinement et reprendre sa route sans avoir peur que l'autoroute la divise, la morcelle, l'éloigne définitivement de ce qui lui tenait le plus à cœur et qui finalement répondait à son manque, à ses failles narcissiques, qui faisaient partie de ce qu'elle était aujourd'hui. Sa conscientisation lui a permis de se rapprocher d'elle – même, de ne plus être angoissée par rapport à la séparation, donc à ses rencontres. Les exercices pratiques ( TCC) qu'elle a faits ont permis de rapporter ses ressentis. Progressivement elle a rallongé ses trajets. Puis un jour, après de nombreuses séances progressives, elle a dit : « ça y est j'ai fait 150 km sur l'autoroute, je suis fière de moi. »
La phobie est unique au sujet. Elle est en rapport à son histoire de vie. Par conséquent si la phobie possède une définition générale dans l'apparence de sa partie émergée autant le sens qu'elle renferme dans sa partie immergée appartient à l'histoire de vie du sujet qui doit être pris en considération dans son traitement. S. Freud 1915-1917 écrit « Toutes les fois que nous nous trouvons en face d'un symptôme, il existe un processus inconscient qui contient le sens du symptôme. Il faut que ce sens soit inconscient pour que le symptôme se produise. Dès que le processus inconscient devient conscient le symptôme disparaît. »
C'est par un travail collaboratif entre le sujet et le thérapeute, un examen minutieux et pas à pas de ce qui se cache dans sa partie immergée émotionnellement que la peur irrationnelle de la phobie peut être éradiquée. Sans omettre bien naturellement que l'intégration d'expériences pratiques et les retours sur celles-ci permettent de consolider la guérison.
. Paul Denis, Les Phobies, édition Puf, 2011 . S. Freud, Conférence 32, Angoisse et vie pulsionnelle, 1933, in Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse, Paris, Éditions Gallimard. . S. Freud 1895, Névrose, psychose et perversion, édition Puf, 2008 . S. Freud, 1926, Inhibition symptôme et angoisse, édition Puf, 2014 . P. C. Racamier, R. Diatkine, S. Lebovici, P. Paumelle Le psychanalyste sans divan, édition Payot-rivages,1970 . Serban Ionescu, Marie-Madeleine Jacquet, Claude Lhote, Les mécanismes de défense : Théorie et clinique, édition Armand Collin, 2012 . Albert Ciccone et Alain Ferrant Honte, Culpabilité et Traumatisme, édition Dunod , 2015 . J.D Nasio Oui, la psychanalyse guérit ! Édition Payot, 2016 . J. Bowlby, Attachement et perte, édition Puf, 3ème édition, 2002 . S. Freud 1915-1917– Introduction à la psychanalyse – édition, Petite bibliothèque Payot,2004<:P>