Quel est le lien qui conduit à être ou à se sentir sous l’emprise de quelqu’un ou de quelque chose? Parce que le terme Emprise est associé à pervers narcissique alors celui-ci est vendu à toutes les sauces. Qui peut dire que le pervers existe à tous les coins de rues ? Les éditeurs ne seraient-ils pas un peu manipulateur d’essayer d’agir sur le lecteur potentiel pour provoquer l’acte d’achat? Petite manipulation commerciale direz-vous ! Oui, certainement mais manipulation tout de même qui engendre la crainte, la peur, et la confusion dans les informations transmises. L’emprise est à distinguer selon deux axes : un agent externe et/ou un agent interne. Distanciation et réflexion sont demandées à la lecture de ce qui suit.
Tout d’abord le mot « emprise » est composé du préfixe « em »qui signifie « dedans » et « prise » qui est le participe passé du verbe « prendre » et qui marque une action. L’ensemble produit l’expression « être pris en son dedans ». Selon le Littré : être sous l’ascendant de quelqu’un, et je rajouterai ou de quelque chose. Également, être sous l’emprise annonce être sous l’entreprise du projet de quelqu’un, ce qui convoquerait dans ce cas, que celui qui entreprend soit un sujet pensant et réfléchi pour que la stratégie puisse être envisagée avec succès. Etre sous l’emprise désigne une interaction qui convoque deux objets: une personne, un stupéfiant, des médicaments, de l’alcool, etc... Dans le cas de la personne, le sujet est sous l’emprise de l‘autre qui est dans l’action de maîtriser une partie du sujet en son dedans : le sujet se fait prendre en son dedans, à son insu et sans son accord, par l’autre qui aura repéré le sujet comme sa victime potentielle. Concernant l’alcool, les médicaments, ou les stupéfiants, l’action et la prise est décidé par le sujet lui-même. Dans ce cas c’est le sujet qui incorpore ou injecte en son dedans un objet ou produit extérieur. Dans le cas où ce qui a été ingéré ou injecté provoque une réaction non attendue chez le sujet il sera constaté et dit que le sujet est sous l’emprise, donc pris en son dedans par ce dont il n’avait pas prévu l’effet ou la réaction. Dans ce cas l’emprise du sujet provoquera la surprise de l’environnement. Pour finir l’emprise est aussi à rapprocher du mot emprisonner par l’entremise de celui qui a pour projet de maîtriser. Cela décrit les positions de sadisme et de masochisme. A ce sujet « Les différences fondamentales qui existent entre le sadomasochisme et la tyrannie-soumission réside dans le fait que le premier est un jeu … tandis que le second est une affaire sérieuse qui consiste à détruire un objet interne chez autrui en vue de soumettre cette personne » (Donald Meltzer dans la tyrannie et la soumission – psychanalyse du lien tyrannique – Albert Ciccone- ed dunod- p169), de cela l’hypothèse suivante peut être émise qu’il existerait : soit un jeu d’emprise consentant de part et d’autre et qui dans ce cas serait admis par les deux protagonistes comme un jeu pervers; soit une situation dirigée, maîtrisée, captée, anticipée, par un seul protagoniste qui a pour objectif de détruire sa victime potentielle. Cela fait surgir l’idée que le sujet pourrait être sa propre victime dans les situations d’alcoolisation, ou de prise de médicament ou de stupéfiants et ramènerait l’idée suicidaire dans sa tentative de mise en jeu de soi. Il y a ici une tentative de perversité avec soi-même dans le sens ou il y a soumission à l’aléatoire du destin, c'est-à-dire d’être sauvé par le sauveur imaginaire : qui est-il ?
« Le processus général consiste, pour le tyran, à détruire un objet interne d’un autre et à prendre la place et assumer la fonction de cet objet, particulièrement celle du surmoi plutôt que celle de l’idéal du moi » (Donald Meltzer dans la tyrannie et la soumission – psychanalyse du lien tyrannique – Albert Ciccone- ed dunod- p167). Rappelons ce que selon la deuxième topique de S.Freud le surmoi est le siège des règles, des interdits etc… et l’idéal du moi constituerait une sous-partie des valeurs et de la morale. N’oublions pas que ces interdits et ces règles sont transmis au sujet enfant lors de son éducation sous l’ascendance bienveillante des figures parentales. Le sujet enfant est dépendant de la figure parentale dans le sens où il se développe en interaction avec l’attention de ses parents dont il a besoin pour se construire et dépasser les différentes étapes qui le mèneront à construire, son individuation, son autonomie, qu’il affirmera au sein du giron familial pour ensuite exporter son expérience intégrée à l’extérieur de cet environnement protégé. Néanmoins, il peut être admis que dans l’interaction éducationnelle l’inconscient existe et que les éducateurs sont également porteurs de leur propre vécu, manque, et autres pathologies psychiques plus ou moins légères.
Nouveau ! L’espace dans lequel s’effectue l’interaction nécessite une circonspection, une conscience, qui n’est pas toutes les fois aussi vigilante que cela, et comment pourrait-elle l’être ? Lorsque celle-ci est plus ou moins défaillante, il se produit dans cette espace d’interaction éducationnelle un mouvement de mise en mémoire inconsciente (un refoulement) de ce qui est de l’ordre de la frustration, du déplaisir, ou de l’insupportable pour le sujet enfant. Il y aura un manque peut être issu d’un trop peu ou d’un trop plein. Dans tous les cas le cadre du sujet enfant pourra s’en trouver distordu, perméable à ce qui pourrait se présenter comme une réponse à la demande refoulée. « Pour toute vie, le premier amour est celui dont on est l'objet. Être aimé est la première forme de vie amoureuse, on ne s'en remet jamais tout à fait. » (Jacques André Psychanalyse de la vie quotidienne, P. 88), c’est bien là, dans la demande inconsciente de ce qui est refoulé, que le manque s’exprime et est souvent la demande d’un narcissisme fragilisé sur lequel va pouvoir opérer tout agent extérieur.Par conséquent la demande illusoire de combler ce qui manque se tourne vers l’agent extérieur et cela met en évidence que le manque d’estime, de reconnaissance, d’affirmation, d’individuation sera séduit par celui ou celle qui donnera la sensation de combler ce manque. Par conséquent, la demande est vigilante à tout ce qui pourrait représenter une réponse « comblante » à sa propre faille narcissique. Cette représentation est une illusion et nous le savons, mais pas toujours, car qui ou quoi pourrait répondre à ce qui fait ce que nous sommes en tant qu’être unique sans que l’on sache nous-mêmes de quoi est fait notre manque profond. « Freud dit :la douleur laisse derrière elle des frayages si importants comme si la foudre avait frappé". » (Jacques André Psychanalyse de la vie quotidienne P. 101), il pourrait être émis comme hypothèse que le sujet s’installe dans ces frayages en attente d’être comblé de ce qui lui manque et ce serait une emprise dans laquelle le sujet s’installe lui-même et de façon inconsciente et illusoire.
Nous venons de voir que l’emprise pourra s’opérer que si le manque est assez exacerbé pour être à l’affut de tout agent pouvant y répondre. Néanmoins le manque de discernement et de distanciation pourront être proportionnels à la profondeur de la faille narcissique et n’aura pour objectif que sa seule satisfaction. Ainsi le sujet dont la faille est saillante sera en demande de lien fusionnelle dans l’idée illusoire de combler le vide qu’il ressent. Le lien pourra s’établir.
« L’affect porte la mémoire d'ébranlements traumatiques de la préhistoire du sujet" (Freud 1926 - Jacques André « Transfert et états limites », P. 50), le lien tyrannique, va donc être à la fois le lien qui rassure et fait doucement retourner le sujet à son état d’enfant lui donnant un sentiment illusoire de protection et de réassurance. Il va être celui qui désocialise complètement le sujet de son environnement pour qu’il devienne l’objet de sa toute puissance. Il est à noter que l’ingestion ou l’injection de produit ou substance est un lien tyrannique, comme l’addiction, visant à bouleverser l’émotionnel du sujet et donnera à ce dernier un sentiment de toute puissance ou celui d’échapper à son impuissance. Ainsi, qu’il s’agisse d’une personne ou de produits extérieurs, le lien tyrannique va asservir sa victime.
L’addiction qui vise la destruction du sujet, devient le lien tyrannique du sujet. Il existe un tiers traumatique, lancinant et pernicieux, c'est-à-dire un fait qui vise à remplir le vide d’une partie refoulée de l’existence archaïque, un vide d’attachement, une absence insoutenable que l’addiction cherche à remplir. Je parle bien d’addiction. Le sujet est sous l’emprise de ce qui vient combler son manque. Dans ce cas il ne s’agit plus d’emprise par un tiers extérieur mais bien de l’emprise de ce qui pourrait être appelé un tiers interne ou de la représentation que le sujet se fait de ce tiers interne. Le sujet n’est pas addictif à la cigarette, à l’alcool, au sexe, ou autre, mais il est sous l’emprise de ce que représentent inconsciemment pour lui ces éléments et ce qui lui donne la sensation d’être comblé par leur ingestion. L’idée est de comprendre ce qui fait la tyrannie de ce lien, d’identifier pourquoi le sujet accepte la tyrannie de ce lien qui le détruit et qui fait sa souffrance.
« Dans la vie de celui qui établit une relation à l’objet, on fait l’hypothèse d’un état de tension conduisant à la satisfaction pulsionnelle. » (Winnicott – Jeu et réalité P. 194 ) Il vient d’être exposé que la demande issue d’une faille narcissique importante entraine de fait un cadre psychique distordu et perméable à tout lien qui du fait de la demande inconsciente peut conduire à la rencontre d’un autre qui exercera dans sa pathologie narcissique l’emprise exclusive sur le sujet. C’est parce que la faille narcissique est importante chez le sujet demandeur et chez le sujet répondant que ce dernier voudra garder l’exclusivité de ce qui peut satisfaire sa propre demande pulsionnelle. En ce sens, le lien tyrannique sera établi entre deux sujets aux failles narcissiques exacerbées mais dont le jeu sera la souffrance de l’un qui calmera l’angoisse de l’autre.
« La guérison d'un symptôme suppose qu'une élaboration a eu lieu, que la vie psychique s'est dégagée de certaines de ses entraves; elle ne signifie pas pour autant la disparition des termes du conflit dont le symptôme à été l'expression. » (Jacques André Psychanalyse de la vie quotidienne P. 148)