Les rêves et les images intérieures occupent une place primordiale dans l’Histoire et dans le monde depuis probablement la naissance de d’humanité. Freud a porté son intérêt sur son approche scientifique du rêve en fondant des interprétations sur une grille contenue dans la théorie psychanalytique. Jung tenta une autre approche diversifiant les polarités de la libido et en attribuant aux rêves un rôle jusque-là ignoré. Le rêve aurait pour fonction d’établir une communication entre la conscience et l’inconscient et pour but, le rétablissement d’un équilibre dynamique de l’un à l’autre plus économique. Ce dernier ayant pour finalité de rendre plus fluide l’immersion du conscient dans la réalité. De tout temps le rêve interroge car il donne la sensation qu’il nous appartient sans nous appartenir et nous renvoie à la nécessité de maîtriser ce que nous sommes. Il peut être fugace ou s’inscrire dans la mémoire au réveil. Certains diront «je m’en souviens », « je ne rêve jamais », « je rêve toujours », « je fais toujours le même rêve », « ce que je rêve arrive, c’est prémonitoire » ou encore « le rêve est une communication interstellaire avec les âmes » ou d’autres etc. D’un point de vue psychanalytique le rêve est une opération psychique qui est propre au rêveur.
Il existe les rêves diurnes et les rêves nocturnes. Le rêve diurne opère en pleine journée lorsque nos pensées s’échappent de l’attention que nous portons à un sujet sur lequel nous nous attardons. Par exemple, un élève attentif à un cours de maths pendant 30 minutes, tourne ses yeux vers la fenêtre de la classe pendant quelques instants, le prof. l’interpelle: « encore dans la lune ? » ; ou encore lorsqu’à la lecture d’un livre, l’association libre des idées nous fait divaguer vers nos pensées internes tout en continuant à parcourir les lignes de notre bouquin, puis nous revenons à notre lecture sans savoir ce que nous venons de parcourir. Nous pourrions appeler cela le rêve éveillé. Quant au rêve nocturne, les neurosciences nous apprennent qu’il se situe dans toutes les phases de sommeil du rêveur.
cf: Elizabeth Hennevin (prof. de Neurosciences)
Le rêve est une opération psychique que nous pourrions envisager comme l’éveil de ce que nous refoulons. Imaginons un instant que notre inconscient soit une boîte dans laquelle sont disposés tout ce que nous refoulons: nos désirs interdits, nos meurtrissures insupportables, nos souvenirs trop lointains, ce que nous n’apprécions pas de nous-mêmes, nos traumatismes…. À force de les contenir, le couvercle de l’inconscient se bombe, il pourrait même exploser. Par chance nous avons des «voies d’allégement de l’inconscient» qui permettent au surcroît de charge des éléments refoulés de s’échapper. le rêve est une de ces voies d’allégement. Et oui, le rêve nous permet de nous alléger de notre surcharge psychique, il est une soupape de sécurité qui vise à nous protéger de notre propre attentat psychique. Donc par cette voie va s’échapper ce qui est de trop dans notre inconscient comme si cette voie était le tuyau d’échappement de notre moteur psychique. S. Freud disait à son époque "Le rêve est un gardien du sommeil qui le défend contre ce qui pourrait le troubler" (Sigmund Freud – Introduction à la psychanalyse – Petite bibliothèque Payot - p149)
Le rêve est constitué d’un espace-temps puis d’un contenu séparé en deux termes évoqués par Freud en 1899 dans son livre «l’interprétation du rêve» : le « contenu manifeste » du rêve et le « contenu latent » du rêve. Le contenu manifeste est la théâtralité dans laquelle évoluent nos personnages. La mise en scène et la scénographie du rêve sont quelques fois cohérentes et le plus souvent distordues, confuses, voire abracadabrantesques: le contenu manifeste est la première représentation dont nous nous souvenons à notre réveil. Quant au contenu latent du rêve,il se cache derrière le contenu manifeste du rêve. « Nous appelons contenu manifeste du rêve ce que le rêve nous raconte, et idées latentes du rêve ce qui est caché et que nous voulons rendre accessible par l’analyse des idées venant à propos des rêves. » (Sigmund Freud – Introduction à la psychanalyse – Petite bibliothèque Payot - p138). Si le contenu latent du rêve revêt une apparence manifeste c’est pour permettre à ce qui été refoulé dans l'inconscient de pouvoir s’échapper par la voie d’allégement. Dit autrement, si ce qui a été refoulé se représentait sous la même forme que lorsqu'il a été basculé dans l'inconscient alors il serait aussitôt empêché de s’échapper par la voie du rêve. C’est comme s’il y avait des gardes frontières qui vérifient l’apparence du rêve avant de le laisser passer, c’est pour cette raison que le refoulement se travesti, se déguise, en une autre forme pour pouvoir passer la frontière sans être arrêter.
En d’autres termes, le rêve est la pensée inconsciente qui se manifeste au rêveur sous une apparence travestie et dans des situations de son propre imaginaire. Quelques fois nous rêvons de scènes de notre vie courante. Qu’en est-il ? Il apparaît qu’au moment de notre scène de la vie courante si celle-ci impact directement notre conscient comme une forme de choc traumatique inconscient alors cette scène sera revécue dans nos activités nocturnes jusqu’à sa compréhension, c'est-à-dire l’interprétation du contenu latent, et c’est ce qu’on appelle les rêves récurrents. La manifestation récurrente du rêve est un appel psychique à identifier ce rêve. « Il n’est pas de rêve dans lequel le moi du rêveur ne joue pas le rôle principal bien qu’il sache fort bien se dissimuler dans le contenu manifeste (Sigmund Freud – Introduction à la psychanalyse – Petite bibliothèque Payot - p167)
Tout cela nous conduit naturellement à parler de l’interprétation du rêve. Trop de divulgations écrites font commerce à ce sujet et ne sont pas conforment à la réalité de ce qui fait l’unique de la personne. Je m’explique, la signification du rêve se trouve dans le contenu latent auquel nous n’avons pas accès directement. L’unique de la personne, son individualité, est composée d’un passé qui prend non seulement forme dès la naissance mais aussi dans la vie intra-utérine. Puisque nos rêves sont la représentation onirique de notre inconscient et que celui-ci est composé de nos pulsions, de nos émotions, de la représentation de notre réalité, et de ce que j’énonce dans la première partie de cet article, alors l’interprétation ne peut être faite que par celui qui est concerné par son parcours de vie et non par une vulgarisation qui voudrait dire que puisque vous rêvez à cela alors ça veut dire telle et telle chose. Nous comprenons bien que c’est logiquement impossible : la signification du rêve du rêveur appartient à l’opération psychique du rêveur, tout en considérant qu’une opération est la multiplication, la division, l’addition, ou la soustraction, de ce qui a été vécu par le sujet tant dans sa vie passée que dans son quotidien et de l’anticipation de ses projets.
Pour exemple, je relate le rêve de Monsieur C, 49 ans, célibataire, de profession libérale, vif d’esprit et dans une démarche introspective souhaitant retrouver l’équilibre de sa vie. Monsieur C. a pris la saine habitude de noter ses rêves à son réveil. A la 5ème séance de psychothérapie en face à face, voici ce que dit Monsieur C : « Depuis une semaine, je fais un rêve récurent qui est exactement ce que j’ai vécu dans la réalité. Je m’explique : une cliente m’a confié que son mari est atteint d’une maladie grave et incurable. Elle poursuit en soulignant qu’elle ne s’envisage pas d’accompagner son mari jusqu’à la fin de sa vie dans cet état et qu’elle préférerait mettre à profit ses sentiments pour son amant. Elle dit même qu’elle envisagerait de le supprimer ou de partir tout en sachant que cela la culpabiliserait. » Monsieur C. est alarmé par le contenu manifeste prenant cela comme une prémonition. Monsieur C confirme que son rêve correspond en tout point à la réalité et qu’il voudrait savoir si c’est grave et découvrir ce que cela veut dire.
Le thérapeute propose à Monsieur C. d’aller plus loin que le contenu manifeste de son rêve pour comprendre la symbolique qu’il a inscrit inconsciemment dans son rêve. Monsieur C. reste dubitatif. Le thérapeute lui indique l’hypothèse suivante : « Comprenez Monsieur C. que le rêve vous appartient, vous en êtes à l’origine. Vous mettez en scène chaque acteur dans votre rêve et vous les mettez en action dans une situation donnée. C'est-à-dire que vous évacuez de votre inconscient quelque chose d’insoutenable. Ce que vous avez vécu réellement avec votre cliente sert de support à quelque chose que vous avez peut-être vécu et qui vous a particulièrement marqué que ce soit dans votre enfance ou plus tard, cela reste une hypothèse.» Monsieur C. écoute en silence. Sa réflexion est en marche. Après quelques minutes silencieuses, le thérapeute poursuit : « l’hypothèse pourrait être que chaque acteur de votre situation du rêve vous représente vous, votre histoire ». A ce moment Monsieur C. sursaute et dit sur un ton empressé : « Voilà, je sais ce que c’est! Alors que j’étais enfant, à l’âge de 9 ans, ma mère a été gravement atteinte d’une maladie incurable. Mon père était tout le temps sur la route et passait de longs jours à l’extérieur, je le soupçonnais d’avoir une maîtresse. J’étais au chevet de ma mère et je veillais à soulager ses souffrances. Très tôt j’ai porté la responsabilité d’elle. On disait que j’étais un enfant précoce. Puis un jour, peu de temps après, comme d’habitude mon père était absent, elle est décédée de sa maladie. Je n’ai rien pu faire et je m’en suis toujours voulu.»
Monsieur C. poursuit en disant « Je n’aurai jamais fait le rapprochement, c’est stupide de ma part ! » Manifestement ce qui angoissait Monsieur C. c’est de ne pas avoir su maîtriser sa situation émotionnelle en anticipant sur la dramatisation de ce qui lui avait été dit dans sa vie réelle. Cet exemple nous montre bien qu’avec l’aide du thérapeute Monsieur C. a pu relier son propre vécu infantile d’une situation qu’il gardait enfouit dans son inconscient, c'est-à-dire refoulée parce qu’insupportable, à cette situation réelle dont il avait été le témoin direct. La semaine suivante le rêve récurent avait disparu et Monsieur C. avait baissé son stress. Monsieur C. a su débloquer un souvenir blessé et il a pu travailler avec son thérapeute sur la représentation du père, sa place auprès de la mère et sa culpabilité d’enfant qu’il traînait jusqu’à l’âge adulte. Dernièrement j’ai reçu une carte de sa part, il demeure dans la Drôme, il est marié.
Le rêve appartient au rêveur qui est seul en capacité de donner une raison interprétative à son rêve qui lui permettra de se délier de sa charge émotionnelle et de rétablir l’économie de son énergie psychique.
Le rêve est aussi le point départ de l’association libre et permet à l’analysant de travailler sur sa problématique avec l’aide bienveillante du thérapeute qui se gardera de toute interprétation hâtive afin de ne pas orienter l’analysant sur un autre chemin que le sien. Le thérapeute s’attarde sur l’association libre de l’analysant, il émet des hypothèses et accompagne l’analysant à se constater lui-même sur son propre chemin de vie.