La question du désir interroge quand il se tait, nous questionne sur son fonctionnement, nous installe dans un paradoxe lorsqu'il devient insoutenable ou quand nous pensons ne plus en être le soutien. Le désir nous accompagne, nous le recherchons et quelques fois il s'évanouit. La question du désir interroge sa fonction, sa nature, sa présence, son origine. Pour certains, il devient intolérable tant il renvoie également au besoin. Désir et besoin sont-ils liés? Colette Soler, psychanalyste répond de son point de vue à ces questions en étayant ses dires des recherches de Freud et Lacan.
Lacan 1967 «L’homme fait sa croissance dans un bain de langage et dans un bain naturel. Le bain de langage le détermine avant même qu’il soit né ceci par l’intermédiaire du désir où ses parents l’accueillent comme un objet privilégié. Le désir n’est pas la passion inutile où se formule l’impuissance à le penser des théoriciens de l’intention existentielle. Le désir est proprement la passion du signifiant. C'est-à-dire l’effet du signifiant sur l’animal qu’il marque, et dont la pratique du langage fait surgir un sujet. Un sujet non pas simplement décentré mais voué à ne se soutenir que d’un signifiant qui se répète, c'est-à-dire comme divisé. D’où cet autre formule : Le désir de l’homme, si l’on peut dire, c’est le désir de l’autre. En l’autre la cause du désir d’où l’homme choit, comme reste. »
L’homme existe avant la naissance dans le désir des parents. Désirer un enfant c’est lui préparer une place, c’est l’imaginer. Le parent développe un sujet qui est celui de l’enfant à venir. D’où le problème de l’enfant non désiré. L’idée est que l’enfant doit se séparer du désir des parents. « Le désir est le désir de l’autre » signifie que le désir provient du langage des parents. L’autre n’est pas seulement les parents mais aussi un autre intérieur constituant du sujet. L’enfant met l’autre en altérité à lui-même. Le désir de l’autre devient le propre désir de l’enfant qui détermine son désir de vie. Ce désir est le sien mais il dépasse l’enfant. Ainsi l’enfant est constitué de désir qui est à la fois le sien et celui de l’autre.
Cette question est là depuis toujours et fait partie de ce qu’on peut appeler l’expérience morale. Le désir est au cœur même de notre subjectivité ce qui est essentiellement sujet. Mais le désir s’oppose à la subjectivité comme un paradoxe. Spinoza dit «Le désir, cupiditas, est l’essence même de l’homme.», la question se pose entre si ce que nous désirons se confond ou pas avec ce qui est désirable. En analyse il existe une distance entre ce qui est désiré et ce qui est désirable, le vecteur. Le désir est alors fait de ce qui est au plus profond de nous et étant notre vérité. Notre propre désir nous est inconnu et c’est ce que Freud a appelé le désir inconscient qui est ce que le psychanalyste interprète au travers des somatisations et des associations libres de l’analysant. Dans l’interprétation des rêves Freud nous explique le désir et termine par dire « il n’y a qu’un seul désir et indestructible ». Pour Lacan, il en vient à l’idée que tous les paradoxes du désir proviennent du fait que le désir a une cause mais qu’il n’a pas d’objet naturel. L’objet visé est construit par des artifices de langage et de discours, que ce soit pour chaque sujet et au niveau collectif. Par contre il existe une cause. D’une part Freud a parlé d’objet perdu tout en sachant qu’il n’a jamais été possédé mais qu’il n’est plus là et Lacan parle de l’objet a comme cause du désir, c’est un objet perdu. Ce serait donc une perte de vie, une perte de jouissance sous l’effet du langage. Cette perte, ce manque, devient le vecteur de l’appétence. Ainsi les objectifs du désir de l’espèce humaine sont d’une variété énorme. Par conséquent il faut qu’il y est du manque, de la perte, pour pouvoir désirer. Le désir vise un objet compensatoire au manque ce que Lacan appelle le plus jouir, c'est-à-dire un petit plus qui compense le moins, néanmoins tous les petits plus n’étanchent pas la perte. La jouissance n’est pas le plaisir et le désir s’oppose à la jouissance puisque la jouissance est une perte ou a été perdu.
Les insuffisances de la jouissance éphémère permettraient de relayer la perte originelle et d’entretenir le désir, c’est possible. Il faut tenir compte que tous les désirs visent la jouissance tout en tenant compte de la forme de la jouissance dont Freud détermine les domaines celui de l’amour et du travail. Tout en étant dans la parole le désir est incompatible avec la parole. Dans son livre 7 Lacan dit « à partir du moment où on trahit son propre désir on entre dans une vie ordinaire ». Ce que Lacan appelle céder sur son désir. L’idée du désir et de l’inconnu du désir rejoint la question que tout le monde se pause, c'est-à-dire «Que faire de sa vie?».