Freud et Sándor Ferenczi ont maintenu une collaboration tout au long de ses travaux. Il rappelle les propos de Freud « ...que l’avenir pourrait à certains égards me donner raison, et ni lui ni moi n’avons songé à interrompre notre collaboration à cause de ces différences relatives à la méthode et à la théorie. Mais en ce qui concerne les principes de base les plus importants de la psychanalyse, nous sommes parfaitement d’accord.» Il faut bien comprendre que le travail psychanalytique n’est pas celui de retrouver l’enfant qu’a été le sujet mais bien de réactualiser celui qui est vécu au moment où le patient en parle. C’est bien dans ce sens, écrit Simone Korff-Sausse qu’il faut différencier l’enfant de l’infantile « ce qui peut-être retrouvé ne sera jamais identique à ce qui a été. Le psychisme est un organisme vivant donc en mouvement permanent. Avec le temps qui passe, les éléments qui composent la psyché ne cessent de se modifier. L’objet de l’investigation et du traitement psychanalytique n’est pas la retrouvaille illusoire avec l’enfant réel, mais l’enfant reconstruit par la psychanalyse.»
Sándor Ferenczi dénonce le refoulement des idées et des émotions de l’éducation des années 1900 qui promeuvent des notions morales aux dépens de l’individu. Le refoulement des idées sous l’autorité éducationnelle asservie l’individualité et c’est bien cela qui est pour Ferenczi la source des psychonévroses et névroses actuelles. Paradoxe de cette époque qui met en avant un ascétisme forcé en s’obligeant de refouler tout ce qui psychiquement ne pourrait lui correspondre. Il y a dans ce discours «Psychanalyse et pédagogie» non seulement une critique de l’éducation du 19ème mais aussi de la psychologie de cette époque qui sert de promontoire à une pensée étatique, politique, asservissant le sujet sous le poids de la morale, de son ascétisme, défiant toute expression individuelle et favorisant le refoulement. La psychanalyse dévoile la nocivité de cette psychologie qui répond au socialement correct en maintenant refoulé les tendances qui vont à l’encontre. Pour le sujet cela coûte beaucoup d’énergie psychique en matière de mécanisme de défense. En d’autres termes, S.Ferenczi soutient que la psychanalyse doit aider le sujet à identifier ses mécanismes de défense, à en délivrer la cause, en faisant un lien entre le passé et le présent. Trouver du sens en accompagnant le sujet à se séparer de ses représentations erronées dans l’ici et maintenant. Ainsi on assiste à une opposition entre l’acquis, les dogmes, loi et morale sociale de cette époque qui vient faire pression sur le sujet et accentue son refoulement. En d’autres termes « les notions morales qui nous poussent à prendre en considération le droit d’autrui et à réprimer nos désirs de puissance et de jouissance, c’est-à-dire notre égoïsme ».
Du principe de plaisir au principe de réalité, voilà comment aurait pu être intitulé cet article. Entre plaisir et insatisfaction, entre plaisir et réel (Freud), l’enfant est sur un mode hallucinatoire jusqu’aux prémices de la séparation. Freud va définir deux stades, primaire et secondaire, celui du plaisir et celui de la réalité. La confusion des deux conduirait vers la pathologie obsessionnelle et autres névroses. Pour comparer le passage d’un stade à un autre, Ferenczi prend les symptômes de l’obsessionnel et son désir de toute-puissance (maîtrise de la pensée et de l’agir).
Il pose la question : est-ce que l’obsessionnel est dans la toute-puissance ? L’accent est mis sur la difficulté à passer vers le principe de réalité. Il aborde la naissance, la toute-puissance inconditionnelle, il décrit le désir (phantasme) de retourner dans le ventre de la mère, l’état fusionnel.
L’analyse que fait S. Ferenczi conduit à identifier «le stade de plaisir comme phase d’introjection et le stade de la réalité phase de la projection du développement du moi». L’enfant fait l’expérience du non-moi (l’extérieur) en projetant ses propres parties de son moi sur l’environnement, ses propres désirs, ses propres demandes.L’enfant va projeter sur le monde extérieur ce qui a été marquant pour lui en référence à la jouissance des plaisirs corporels satisfaits antérieurement. Il existe une relation entre la satisfaction de son corps et l’objet extérieur convoité. La symbolisation gestuelle et langagière va permettre à l’enfant d’appréhender le monde extérieur en y retrouvant ses plaisirs anciens. La découverte progressive de la symbolique va favoriser «le développement de la gestuelle et du langage». Chez l’enfant c’est l’apparition du désir, écrit Ferenczi. La toute-puissance de l’enfant va pouvoir perdurer mais il va falloir aussi qu’il s’engage à gagner les faveurs d’une autre puissance, celle de la figure maternelle ou autre représentant, pour obtenir satisfaction.
Il va découvrir que le langage, en premier lieu par l’imitation, va devenir plus précis dans l’expression de ses désirs. C’est ainsi que l’élaboration du conscient dans l’appareil psychique va pouvoir poursuivre son développement. La satisfaction des adultes au langage de l’enfant va produire chez lui une satisfaction supplémentaire de poursuivre son illusion de toute-puissance à travers «ses pensées et ses mots magiques». L’environnement séduit par l’interaction avec l’enfant par les gestes et le langage conduit l’entourage à se satisfaire de la satisfaction de l’enfant qui lui-même poursuit son évolution dans l’illusion de sa toute-puissance avec ces autres-là puissants eux-mêmes.
Mais la confrontation au monde extérieur va provoquer chez l’enfant des frustrations qu’il aura du mal à accepter tant qu’il reste agrippé à cette illusion. Si cette illusion perdure l’enfant grandissant risque de devenir intolérant aux frustrations et le monde extérieur va devenir pour lui insatisfaisant à faire perdurer son illusion de toute-puissance. C’est ainsi que certaines pathologies du développement psychique de l’enfant devenu adolescent puis adulte vont s’inscrire durablement et vont développer chez lui un sentiment d’infériorité face à la déception de l’illusion déçue. C’est le cas pour l’obsessionnel nous dit Ferenczi, en rappelant Freud, qui pour compenser l’insatisfaction «du retour du refoulé» va développer toute une série de pensées magiques, mystiques …etc.
Le deuil de la toute-puissance, c’est-à-dire l’acceptation progressive des frustrations détache le sujet de son illusion face au monde extérieur et «cède la place à la pleine conscience du poids des circonstances» et fait intervenir le principe de réalité aux dépens de cette illusion infantile inconditionnelle remplacée par le conditionnel.
Le principe de plaisir qui se confronte au principe de réalité reste une difficulté plus ou moins importante pour le sujet et dépend ainsi de la capacité de celui-ci au deuil de celui-là. Le deuil ne veut pas dire son annulation mais bien l’acceptation que le sujet a de sortir de sa toute-puissance du principe de plaisir. La capacité à accepter la frustration, c’est-à-dire l’insatisfaction de la satisfaction pleine et entière de ses désirs, s’inscrit tout au long du chemin de vie.
Dans cette exposé du 13 juin 1927, S. Ferenczi propose aux parents de se questionner sur l’éducation qu’ils transmettent à leur enfant en tentant de ne pas oublier qu’un jour ils ont été eux-mêmes un enfant. Oubli qui pourtant est commun à bon nombre de sujets si ce n’est à la majorité de ce qui est nommé l’amnésie infantile alors que justement les 6 premières années de l’enfance vont rester inscrites pour toute la durée de l’âge adulte. Il évoque les passages de l’enfant qui font effet de traumatisme. Le premier à être particulièrement bien accueilli, entouré, choyé, est c’est celui de la naissance, du passage du ventre de la mère à celui de la lumière de la réalité extérieur. Les autres passages concernant l’entrée dans la société sont présents des difficultés auxquelles l’enfant doit se confronter : « le traumatisme du sevrage, de la propreté, de la suppression des « mauvaises habitudes » et finalement le plus important de tous, du passage de l’enfance à la vie d’adulte ». Il insiste sur la sensibilité de l’enfant et comment celle-ci peut percevoir les faits de son environnement jusqu’à le marquer psychologiquement alors que l’adulte pense tout autrement en ne faisant pas cas de l’impact que cela pourrait provoquer sur l’enfant et « notamment une névrose infantile qui risque d’affaiblir définitivement sa vie affective ». Ferenczi est d’accord avec Freud sur l’idée que « la manière dont l’individu, dans les cinq premières années de sa vie, adapte ses besoins primitifs aux exigences de civilisation, déterminera aussi la manière dont il affrontera dans la vie toutes les difficultés ultérieures. » L’éducation oppressive pour atteindre ces buts nie le fait qu’ils sont eux-mêmes une transformation de besoins innées qu’il serait intéressant de considérer avec soin tant il font partie du développement de l’enfant. Ainsi l’adaptation à une normalisation nécessiterait une transformation progressive dont l’enfant se sentirait l’initiateur sous l’œil avisé de son éducateur. Également, si l’adulte pouvait entendre que ce que l’enfant ressent de sa sexualité, très jeune, est tout autant pour l’adulte et que parallèlement à ceux-là de vraies questions existentielles s’imposent à lui au sujet du rôle de chacun dans la formation de la famille et de la compréhension des relations entre eux. C’est à ce point que l’on peut comprendre que l’enfant est un être psychologique s’intéressant lui-même à son propre développement comme un explorateur découvrant un nouveau monde. Le dénie des adultes emportés eux-mêmes par le déni sociétal conduisent ceux-là aux vérités erronées que les enfants eux-mêmes vont adopter par affections, loyauté pour ceux qu’ils aiment. Voilà comment se transportent les refoulements de génération en génération.
S. Ferenczi aborde ici la problématique de l’instinct de survie de l’enfant qui peut être menacé par l’interaction enfant et figure maternelle en conséquence du tact qui sera prodigué par cette dernière. En d’autres termes les mouvements émotionnels de la figure maternelle vont agir sur la vie intra et extra-utérine de l’enfant durant les premières années et la force vitale de l’enfant en sera plus ou moins favorisés selon les dispositions affectives qui lui seront offertes. La bienveillance prodiguée est une solution en soi pour traverser les différents traumas ou frustrations qui seront sur son chemin de vie durant l’enfance. L’espace analytique suggéré par Ferenczi s’adapte à reprendre ce chemin de vie chez le patient adulte pour l’aider progressivement à reconstruire ce qui a fait défaut durant sa vie d’enfant et découvrir la capacité d’acceptation « des frustrations, mais aussi, il faut l’espérer, complétée par la faculté de jouir du bonheur, là où il est réellement donné. »