Étymologiquement s’engager c’est l’« action de se mettre en gage, d’être lié par une convention, un contrat ». Ainsi se mettre en gage c’est se consacrer à la réussite de ce qui est envisagé au risque de perdre ce qui a été mis en gage, c’est-à-dire soi. C’est aussi «prendre un chemin», s’engager sur un chemin. Les deux définitions réunies pourraient donner : s’engager sur un chemin tout en respectant un contrat qui encadre ce chemin. Ce contrat peut être idéologique, moral, social, professionnel, amoureux, etc., il aura toujours la forme de lois et de règles qui font le fondement même de ce qui est à respecter pour suivre le chemin.
Les dimensions affectives, cognitives, comportementales et/ou motivationnelles composent les éléments de l’engagement propre à l’individu. Les décisions que nous prenons au cours de notre vie impliquent des choix difficiles dont nous tentons de mesurer les avantages, les coûts et les compromis associés dans les sphères professionnelles amoureuse ou personnelle et cela provoque parfois de la confusion, de la crainte ou de l’incertitude : va-t-on s’engager ou non ? Quelles que soient les délibérations intérieures évoquées par cette question, les décisions qui en découlent ont généralement un impact important sur l’ensemble du fonctionnement personnel. L’engagement et/ou la capacité de s’engager sont positivement associés au bien-être personnel (1) ; il s’agit d’une continuité comportementale associée à une nécessité ressentie par l’individu d’être ou de paraître cohérent avec ses croyances et ses choix passés par un engagement personnel, découlant des attirances et des choix propres de l’individu et généralement associé à une grande satisfaction associée au bien-être ;il s'agit d'un engagement moral (ou social), qui découle des valeurs morales ainsi que du sens du devoir et des responsabilités de l’individu ; Il s'agit d'un engagement structurel, qui relève du sentiment de contrainte et d’obligation de persister à cause des coûts ou des conséquences anticipées s’il y a interruption de l’engagement (2) ;Il s'agit d'un engagement identitaire (3) qui réfère à l’ensemble des forces qui permettent à l’individu de choisir des interactions avec son environnement qui reflètent fidèlement son identité. Ce type d’engagement permettrait de maintenir un sentiment de cohérence élevé entre qui l’individu considère être (son identité) et sa façon d’agir dans son fonctionnement quotidien.
Considérant qu’un engagement se produit toujours avec un élément extérieur, il s’agit alors d’un contrat passé avec cet élément extérieur. Selon les sphères d’engagement énoncées précédemment, structurel, moral, personnel, identitaire, elles engagent à identifier des enjeux propres à l’individu, cela engage le gage de soi. Une aire nouvelle est donc créée un espace d’engagement, une troisième aire qui vient s’interposer entre l’individu et l’élément extérieur et dans laquelle les enjeux des deux entités vont devoir trouver un consensus qui pourra prendre une forme professionnelle, amicale, amoureuse, structurelle. Il existe alors un contrat qui lie les deux parties dans cette troisième aire.
Les hypothèses suivantes suggèrent que le contrat qui est encadré lui-même par les frontières internes et externes de la troisième aire se rompt soit parce que les clauses n’ont pas été définies en amont c'est-à-dire que les protagonistes n’ont pas été confrontés aux représentations subjectives de la réalité de chacun pour construire les clauses du contrat, soit que le désir personnel a dépassé le désir de la troisième aire au point de vouloir se l’approprier totalement en oubliant que le contrat d’engagement est fondé sur un désir commun . La rupture d’un contrat, c'est-à-dire l’abolition de la troisième aire, est à craindre si le protagoniste ne s’est pas acquitté de ses engagements archaïques et qu’il cherche toujours à se défaire de ses engagements, soit que les échecs de ses engagements ressurgissent et appellent aux échecs d’enfance inconsciemment refoulés. Il ressort de ces hypothèses, dont la liste n’est pas exhaustive bien entendu, que le contrat est la sécurité dans lequel pourra s’exprimer le désir, la rêverie de chaque protagoniste, c'est-à-dire la capacité à accompagner vers l’engagement. Cela soulève l’aspect motivationnel lié à l’engagement et qui rejoint la constance comportementale. La motivation dans l’engagement est reliée à la satisfaction des besoins de l’individu tout en considérant que la satisfaction du besoin sera en conséquence de l’acceptation du prix à payer. Cela peut engendrer chez l’individu un refus de satisfaire ses besoins si son registre est celui de l’appétence appétence (c’est-à-dire difficulté à faire des choix) l’empêchant ainsi de prendre des décisions et de s’engager. Difficile de s’engager sans être assuré auparavant du succès de l’engagement. Par conséquent c’est bien la crainte de ne pas réussir cet engagement. Mais à quoi tient cette crainte ? A une expérience passée que nous nous rappelons et qui a été un échec, ou encore à une expérience passée inscrite dans notre inconscient et qui fait partie de notre vie d’enfant : « je n’y arriverais pas, pas la peine que je m’engage sur cette voie »
Imaginons un instant l’enfant qui devient l’objet du projet du parent qui s’engage lui-même à réaliser son projet qui est celui de faire grandir son enfant au mieux. Je mets l’accent sur l’obligation de l’enfant qui est à la fois porteur de son propre désir d’engagement et aussi porteur du projet de vie de ses parents. Bien entendu pas à chaque fois mais quelles que fois « l’engagement est un état où l'on est lié par quelque obligation » (1). Cela me rappelle un analysant, M. B. , 22 ans. Il ressentait être pris en tenaille entre ses deux parents qui investissaientt leur réalisation de projet de vie personnelle sur leur propre enfant, « j’ai conscience qu’ils se sont sacrifiés pour moi, disait-il, et ils continuent dans ce sacrifice ». Il se sentait tellement lié à eux qu’il ne pouvait se défaire de la responsabilité qui lui était assignée : Il était engagé dans un processus qu’il n’avait pas choisi ou dont il n’avait pas su mesurer l’incidence avant de s’inscrire sur ce chemin. On ne peut pas reprocher à des parents d’avoir un projet de vie pour leur enfant ou tout au moins de s’engager eux-mêmes dans l’avenir de leur enfant. Oui mais à quel prix ? Le sujet est bien là ! Le prix de l’engagement est-il supporté par l’enfant ? Par conséquent mis en gage, il devenait le gage, c'est-à-dire qu’il ressentait son obligation de réussir au risque de ne pas respecter l’issu de l’engagement qu’il n’avait pas choisi c'est-à-dire l’obligation de réussite du désir des parents. Par conséquent il portait le désir des parents avant son propre désir, la satisfaction des parents par rapport à leur propre projet de vie d’où cette responsabilité. « Je suis angoissé et je ne connais pas la nature de l’angoisse, disait-il, et c’est bien de cette angoisse que je veux sortir? » En d’autres termes il voulait se dégager d’un engagement dans lequel il s’était peut-être engagé lui mais non par rapport à l’engagement de ses parents. C'est-à-dire qu’il n’avait pas envisagé de porter le poids de l’engagement de ses parents sur ses propres épaules. Ainsi nous pouvons convenir sans grand hasard que la réussite du projet par l’enfant permettra aux parents de se dire nous avons réussi notre vie. Donc l’enfant se retrouve porteur de la vie de ses parents. L’enfant devient l’objet transférentiel des parents. C’est sur ce sujet que s’engage la réflexion. C'est-à-dire en l’occurrence comment se fait-il que l’enfant ressente le projet de vie des parents comme un poids insupportable au sens propre du terme ?
Ainsi ce qui préoccupe le sujet de l’engagement ce sont les interactions qui s’opèrent dans l’aire d’engagement : On peut respecter le contrat et sa place sans en déroger - On peut faire prévaloir une nouvelle idée dans ce contrat qui viendrait bouleverser le contrat – On peut opérer un coup d’état, un putsch pour renverser le pouvoir du contrat et imposer une nouvelle politique et valeur et morale - On peut se soumettre au contrat jusqu’à être envahit par lui – On peut se rebeller contre un contrat ou son représentant - On peut s’affirmer grâce à un contrat.
Le contrat guide l’engagement, il préserve des dérives, il énonce l’objectif et la collaboration vers un engagement. La limite de l’engagement c’est l’abus. Dès qu’il y a abus, il faut se désengager… Se désengager pour refaire le contrat : contrat social, contrat de couple, contrat amical, contrat thérapeutique. On entend ici l’importance de la psychothérapie individuelle puis celle du couple dont l’un des rôles pourrait être celui de rappeler à chacun la nécessité du cadre pour retrouver ce qui a été perdu et réfléchir à ce qui s’est introduit dans ce cadre et qui n’en fait pas parti.