Fiche de lecture
Cet essai de F. Dolto s’adresse à la fois aux couples unis et désunis, à ceux qui sont en instance de séparation, aux adultes en thérapie analytique et aux adolescents. Parler à l’enfant et prendre en considération toutes ses expressions est un leitmotiv dont F. Dolto ne s’est pas séparé. C’est ce qui a fait son sujet de recherche et de clinique tout au long de sa vie. Cette interview de 1988, menée avec Inès Angelino, est d’actualité. Il est à noter que la loi du 8 janvier 1993, des droits de l’enfant, s’est inspirée de l’essai de F. Dolto. Il a contribué à élargir le regard sur la vie de l’enfant et ses droits. Si la séparation signale la disparition du couple elle ne signifie pas la disparition des responsabilités des parents envers l’enfant.
F. Dolto nous explique toute l’importance de la triangulation mère-père-enfant notamment au sujet de l’identité. Puisque la triangulation représente les repères spatiaux et affectifs de l’enfant, il y a, lors de la séparation, un manque de repère spatial au niveau de son corps et au niveau de l’affectivité par la dissociation des sentiments. F. Dolto indique qu’il est préférable que l’enfant ne soit pas séparé de la maison initiale, où il a ses repères, et d’autre part de l’école où il y fait ses premières expériences sociales. La séparation du couple se répercute chez l’enfant comme un morcellement de son corps et donc d’une fragilisation de son psychisme.
L’enfant doit avoir un droit d’entendre les décisions prises par la justice qui réparti les rôles des parents séparés. S’ils sont divorcés le couple parental a toujours ses devoirs d’éducation par rapport à l’enfant. Si l’enfant est troublé affectivement c’est sans oublier la souffrance des parents qui doivent être accompagnés, nous dit F. Dolto, pour que les mouvements affectifs des parents ne resurgissent pas sur l’enfant qui subirait alors un nouvel ébranlement. « C’est pourquoi il serait souhaitable qu’avant de déposer leur demande en divorce les conjoints aient la possibilité de dire en présence d’un tiers les raisons pour lesquels ils ne voient pas d’autre solution que leur séparation, et ce au nom du sens de leur responsabilité et non pour des griefs passionnels superficiels. » (F. Dolto, P. 23)
Quelques fois tout que ce qui tourne autour de l’organisation et de la responsabilité des parents par rapport à l’enfant devient la symptomatisation des affects non-dit du couple qui se sépare. La question sous-entendue par F. Dolto est « comment se séparer de celui auquel l’enfant s’identifie ». Il est difficile d’envisager une séparation sans que l’enfant subisse intensément celle-ci.
L’enfant idéalise les parents soudés par leur union. Il a besoin de savoir qu’il n’est pas la cause de la séparation et qu’il reste investi d’amour par les deux parents même en cas de séparation. Il est la réussite du couple du point de vue de la descendance. Il est important qu’il puisse le ressentir, le comprendre. Dans le cas contraire l’enfant peut porter la culpabilité d’être la cause de la mésentente et avoir des effets négatifs sur sa vie.
La part de l’adulte est d’assumer sa responsabilité et d’accepter sa réalité sans la reprocher à l’autre par des justifications qui restent sans fondements réels. Le désir est en cause dans l’histoire d’amour qui unit le couple et le désunit quand il disparaît. L’enfant ne peut pas savoir ce qu’est le désir. Sa conception est le couple parental, il apprend ce qu’est un couple et ne peut avoir qu’une vague notion de ce qui les unit. Quand la question est posée en séance « est ce que vos parents s’aimaient » il y a souvent cette réponse de l’adulte « je ne sais pas », s’ensuit la question « les avez-vous vu s’embrasser, s’enlacer ? », « oh oui » ou « non ! »
L’enfant a besoin d’être rassuré en tant que non responsable du divorce ou de la séparation. Un couple fragile peut rendre coupable l’enfant alors qu’il ne l’est pas et encore moins de leur séparation. La clarté de la décision prise par les parents permet à l’enfant de poursuivre sa relation affective avec le père et avec la mère. À l’inverse, le conflit entre les deux parents dans leur décision de séparation trouble l’enfant dans ses relations affectives aux parents. La décision réfléchie des deux parents donne à l’enfant un exemple de responsabilité et de réflexion d’une réalité du couple qui a choisi le divorce.
Il est nécessaire que chacun des parents annonce la décision de séparation à l’enfant. Il se produit tout d’abord une forme de déni de la part de l’enfant pour prendre le temps de comprendre la réalité qui s’impose à lui. C’est plus tard que la compréhension se fait. Il est utile que le parent rappelle la réalité à l’enfant lorsque c’est indispensable. C’est progressivement et en accompagnant l’enfant que celui-ci poursuivra sa maturation jusqu’à l’acceptation de la situation. Par conséquent une séparation, un divorce, doit être préparée avec l’enfant et non sans lui. Dans ce cas l’enfant a aussi ses mots à dire, cela lui permet d’apporter du sens. L’accompagnement dédié à l’enfant est de la responsabilité éducative des deux parents. Leurs griefs ne doivent pas intervenir dans l’histoire de l’enfant mais au contraire rester objectifs quant à leur réalité pour que l’enfant ne porte pas la culpabilité de la séparation.
La dévalorisation de l’un des parents c’est, nous fait comprendre F. Dolto, l’annulation d’une partie de l’enfant. Cette annulation confère au parent restant la toute-puissance d’une relation unique, donc une régression, sans que le rôle primordial de séparation ne soit effectué.
Si chaque parent retrouve une vie de couple l’enfant ne prendra pas la place du parent absent. Dans tous les cas de re-formation d’un couple pour chaque parent il est nécessaire que l’enfant continue à être sous la responsabilité éducative des parents séparés pour que son évolution psychique continue dans les meilleures conditions. L’environnement des parents séparés joue un rôle important pour l’enfant même si cette période offre des difficultés majeures d’organisation. Cela permet de comprendre que le parent n’est pas isolé et l’enfant à devenir le seul objet de socialisation.
F. Dolto met l’accent sur la triangulation entre l’enfant le parent et la vie sociale du parent. Il est à comprendre que si l’éducation de l’enfant vise à son individuation il est important que l’enfant comprenne que le parent a une vie sociale et qu’il n’est pas le seul objet de toutes les attentions, le parent a la sienne propre. Par conséquent une bonne répartition entre l’attention portée à la vie sociale du père et de la mère d’une part, et d’autre part à l’enfant, permet à ce dernier une progression vers son individuation et non une régression. Inversement si le parent devient exclusif vers l’enfant il peut être envisagé qu’il porte la culpabilité du sacrifice du parent à son égard et en devienne redevable.
Lorsque l’enfant est tenu d’être avec le parent qui n’a pas la garde quotidienne il peut arriver qu’il ait des maux physiques : « L’inconscient est structuré comme un langage », nous rappelle F. Dolto. Le corps verbalise ce qui ne peut être symbolisé par des mots. En aucun cas il s’agit d’un refus de voir le parent qui a son devoir de visite mais bien au contraire une difficulté pour l’enfant à gérer ses émotions quant à son désir de le voir. Il serait utile que l’enfant soit accompagné dans ses réactions pour attribuer le sens qu’il lui donne inconsciemment.
F. Dolto parle d’un devoir de l’enfant qui doit être avec le parent qui a le devoir de visite. Cela contribue au bon développement psychique de celui-ci. D’où l’importance du parent d’être présent et de respecter son devoir en sachant que ce devoir doit être partagé par l’enfant. Cette configuration permet à l’enfant de poursuivre sa construction spatiale, temporelle et affective, nécessaire à son autonomie. Au sujet des rencontres téléphoniques, une anticipation horaire de l’appel favorise la préparation de l’enfant à recevoir le contact. De même courrier(s) et objet (s) transitionnel (s) ont une importance que le parent doit savoir considérer. La pension alimentaire est aussi une responsabilité du parent qui permet à l’enfant de se responsabiliser quant à ses propres devoirs.
Un couple séparé se doit d’organiser les repères spatiaux, temporels et affectifs de l’enfant en considérant que les griefs qui subsistent entre eux ne doivent pas altérer le développement de l’enfant. Au même titre que les parents unis, les parents séparés doivent se distancer de leur propre vécu infantile pour ne pas transférer sur leur propre enfant les difficultés dont ils ont été victimes.
L’arrivée d’un tiers est bénéfique dans le sens où il fait obstacle à la relation exclusive et permet à l’enfant de « vivre son Œdipe » en se confrontant à ses sentiments internes d’affection amour/haine envers l’un et l’autre parent. Les conflits qui peuvent éclater ne sont pas seulement du fait de l’enfant mais aussi du parent qui inconsciemment peut faire vivre des sentiments de jalousie envers son ex-compagne ou compagnon. Le parent doit dire qu’il a une relation en dehors de son enfant. Cela instaure la relation triangulaire qui a toute son importance pour le développement psychique de l’enfant. Il ne s’agit pas de prendre son enfant pour son confesseur ce qui installerait une relation hystérisante et négative. Il s’agit de parler à l’enfant avec des termes simples lorsque le moment est venu pour le parent. Le mot ami (e) n’est pas adéquat dans ce cas, mais plutôt celui de fiancée qui implique une réelle relation amoureuse. Il est important que le parent clarifie sa situation amoureuse car l’enfant a besoin de repère pour se situer affectivement et investir le ou la nouvelle conjointe. Cela demande donc un effort de compréhension de la part de l’ex-compagne ou compagnon afin qu’il ou elle ne vienne pas dénigrer la place de celui-ci ou de celle-là.
L’arrivée d’un enfant dans le nouveau couple du parent séparé peut faire émerger le souvenir de l’échec du couple passé et transformer l’attitude du parent qui ne veut pas reproduire un nouvel écueil. Cela peut être ressenti par l’enfant du premier couple comme une forme d’exigence incomprise à son égard.
Lorsque la demande de l’enfant au parent (mère) est de ne pas se remarier, cela souligne le désir que l’enfant a inconsciemment d’imposer sa loi infantile. Il devient alors tout puissant quant à son parent. Dans ce cas, nous dit F. Dolto, l’enfant s’enferme dans une responsabilité à l’égard de son parent. À l’inverse lorsque la demande de l’enfant est qu’il ou elle se remarie alors de lui-même et inconsciemment l’enfant cherche une solution pour faire barrage à ses pulsions incestueuses lorsqu’il sent être l’objet exclusif de l’attention du parent.
Le retour chez les parents du parent en cas de divorce, l’enfant vit cela comme une régression des parents, par conséquent une perte des modèles parentaux. La relation ancienne parent-enfant reprend sa place et l’enfant du couple séparé peut devenir celui des grands-parents. F. Dolto écrit à propos des grands-parents le rôle important de la transmission des paroles sages, apaisantes, dédramatisantes et déculpabilisantes. Bien entendu, si eux-mêmes sont libérés de leurs griefs infantiles.
La violence dans le couple conduit l’enfant à lui-même, c’est-à-dire que c’est à lui que la violence est faite. Il s’identifie aux deux parents et c’est dans ce sens où la violence se fait à l’enfant par identification. Par conséquent la violence, se faisant par identification, l’enfant reproduira le modèle du couple violent. La névrose familiale est à considérer avec attention et consiste en une répétition de ce qui a été intégré par l’enfant ou l’adolescent devenu adulte dans son propre couple et avec ses enfants. L’accompagnement de l’adolescent consiste à l’aider à se dégager de ses propres identifications négatives parentales pour qu’il puisse lui-même s’engager dans sa propre vie avec ses propres jugements sans pour autant être mené par la répétition des faits. Dans le cas du départ du parent violent et lorsque l’enfant reste avec le parent victime, il y a risque de couplage complice, nous dit F. Dolto. Cela engendre un attachement de l’enfant à son parent qui l’empêche d’atteindre son autonomie affective. Une forme de culpabilité qui empêche l’enfant de quitter le parent.
À l’inverse si le parent qui reste avec ses enfants retrouve sa vie avec une ou un nouveau compagnon alors cela favorise la poursuite de l’individuation de celui-ci en traversant ce qui poursuit ou termine son processus œdipien à l’adolescence. Un conflit qui persiste entre les deux parents a pour effet de décrédibiliser les parents aux yeux de l’enfant. Il peut se réfugier dans son monde intérieur pour échapper à ce qui lui apparaît comme sa propre défaillance toujours par identification. Le conflit persistant au sein d’un couple séparé peut laisser des séquelles chez l’enfant et l’adolescent qui peut engendrer des symptômes dépressifs.
F. Dolto décrit l’identification de la mère ou du père à l’enfant. C’est-à-dire que la mère prête à l’enfant ce qu’elle-même ressent comme un ressenti appartenant à l’enfant ou a l’adolescent. Ainsi nombre de mères passent par l’intermédiaire de l’enfant pour dire combien le père fait souffrir l’enfant. En réalité la mère parle d’elle-même c’est-à-dire de sa souffrance de femme dans cette situation de divorce ou de séparation. Le danger d’une telle situation fait surgir une complicité malsaine qui enferme l’enfant en tant que sauveur de la mère. Il y a aussi le parent qui ne veut pas parler du divorce devant son enfant sous le couvert que ce qu’il pourrait dire heurterait l’enfant, soi-disant pour son bien-être alors qu’il s’agit bien du bien-être du parent qui se verrait alors entrer dans un processus défouloir de complainte et de victimisation à qui voudrait bien l’entendre. Également, ce processus identificatoire peut émerger en séance mais l’analyste le fait remarquer au sujet concerné.
F. Dolto souligne toute l’importance d’accompagner l’enfant, de lui expliquer, de le tenir au courant, de l’écouter, tout cela avec délicatesse. Donner la possibilité au non-dit de s’exprimer et reconnaître le sens que l’enfant y met pour échanger avec lui. L’enfant n’est pas à mettre de côté, il est partie prenante de la séparation et dès le plus jeune âge il peut l’entendre. Le couple de parent a toutes ses responsabilités, ses devoirs de parent pour accompagner l’enfant dans cette réalité qui dit que « les parents ne sont pas à la hauteur de poursuivre leur aventure en dépit de ou des enfants qui existent ». À l’inverse sans cet accompagnement le silence, la mise à l’écart de l’enfant, est source de culpabilité pour lui. Force est de constater que beaucoup d’enfants devenus adultes portent le poids inconscient de cette culpabilité qui se délivre lors des séances.
F. Dolto écrit qu’avant 7 ans l’enfant a des devoirs face aux droits des parents. Après cet âge et selon sa maturité liée à son développement psychique « les parents n’ont plus que des devoirs et non des droits » par rapport à l’enfant. À partir de 14 ans l’enfant a des devoirs envers ses parents « qui sont ceux de tout citoyen vis-à-vis des autres citoyens : devoirs de solidarité familiale et de solidarité sociale. » Toute l’importance du couple même séparé est d’être le passeur de la vie familiale à la vie sociale.
À partir de 9 ans l’enfant mineur apprend son autonomie sous la responsabilité des parents. Il peut aller passer la nuit chez d’autres parents pour retrouver un ami, ou partir en colonie de vacance ou autre. Jusqu’à sa majorité l’enfant est sous la responsabilité des parents, sous le contrôle et non sous l’interdit parental. La notion d’autonomisation, d’apprentissage de ses responsabilités, doit être réfléchie par le couple parental et non le contraire. Il n’est pas rare de constater qu’un jeune adulte reste avec la mère et échoue dans ses projets professionnels ce qui peut en être la cause est le lien établit avec elle et la place qu’il prend comme souffrant de ne pouvoir prendre son autonomie au risque d’une certaine culpabilité envers elle.
L’enfant souffre d’être mis à l’écart de la séparation des parents. Le lien mère - enfant - père se transforme mais ne peut pas rester dans le silence. Concerner l’enfant c’est éviter de le considérer comme un objet, c’est lui donner son humanisation, sa culture, ses responsabilités : « Ce qui produit des drames pour l’avenir, c’est ce qui n’a pas fait de drames quand on était enfant : ce qu’on n’a pas pu dire et assumer » (F. Dolto, p. 133). l’approche doit se faire avec pédagogie et conscience, hors de tout ressentiment ou de parti pris. Il ne s’agit pas de nier le conflit qui est également formateur et raison de la séparation. « L’être humain qui a choisi une famille pour naître souffre lorsque la désunion ne lui est pas expliquée comme une situation effectivement d’échec, mais malheureusement inévitable. Pour la dignité de l’enfant et celle de ses parents, il est nécessaire que ceux-ci disent ce qu’ils font et fassent ce qu’ils disent. »
Également, le choix de l’enfant de vivre avec l’un ou l’autre doit être entendu par les parents sans que l’un ou l’autre se déchire ou que l’enfant devienne un objet de chantage.
Le juge est le tiers, soumis à la loi. Il responsabilise les parents non pas seulement par rapport à la loi écrite, mais aussi à leur responsabilité de parents. C’est lui qui apprécie les meilleures conditions de vie de l’enfant quant à sa vie familiale et sociale. En toute logique, l’enfant ne peut pas être déraciné de son environnement dans lequel il se construit sans pour autant être troublé. F. Dolto souligne qu’un jugement de divorce met tout le monde sous le coup d’une forme de castration dont personne ne tire de jouissance. L’enfant, nous dit-elle, doit savoir que le jugement qui attribue le lieu de vie est guidé par la loi qui est transmise par le juge.