Ce texte n’engage que la réflexion de l’auteur qui présente une fiche de lecture qui se réfère au texte « Du type Féminin » (1914) dans le livre « L’AMOUR DU NARCISSISME » aux éditions Gallimard regroupant des textes publiés de 1931 à 1933 écrits par Lou Andréas-Salomé dans Imago et l’Almanach der Psychoanalyse
.Dans cette première partie de ce chapitre intitulé « Du type Féminin », Lou Andréas-Salomé entre dans le précieux de la féminité. Les métaphores vont bon train. De la boite à boutons qui renferme les merveilles et qu’elle métaphorise avec des pierres précieuses pour devenir des bijoux, aux représentations de la figure maternelle et nourricière d’où émane la réminiscence des sensations olfactives et visuelles. Lou Andréas-Salomé prolonge la métaphore par la vierge montagne où quelqu’un « devait se frayer un chemin au cœur de celle-ci à travers tous les empires de pierres précieuses pour parvenir jusqu’à une certaine reine et la désensorceler » (p68). Les mots de sa syntaxe sont forts en images de la nature féminine et guide la représentation du lecteur vers « une hauteur inaccessible et couverte de glaciers, renfermant en son sein d’innombrables boutons ». Puis poursuivant lors d’un voyage , elle se débat dans les entrailles d’une mine, coincée entre son père et des hommes pour s’ouvrir aux parois salées qui donnent accès « à un lac féeriquement illuminé » (p69). Les souvenirs de son enfance renvoient à la représentation de la découverte inconsciente de la sexualité de type féminin telle que le ressent Lou Andréas-Salomé.
Alors qu’elle 8 ans, Lou Andréas-Salomé narre comment de façon équitable, sous la guidance de la figure paternelle, elle a pu approcher l’échange et le don de ce qu’elle possède en l’occurrence l’argent de poche. Elle différencie les boutons de l’argent de poche en disant qu’« en opposition radicale avec ce qu’on peut partager, dont l’essence semblait résider en ce qu’on devait le partager, était l’idée plus ancienne des trésors inaliénables (les boutons) non échangeables, cachés, dont la saisie manifestement nous dépouillerait, porterait pour ainsi dire atteinte à notre totalité qui ne connaît pas de moitiés ». Il y a ici l’idée que l’acquis matériel peut se partager mais que le réel trésor est soi et ne peut en être séparé mis à part l’objet non-moi : « dans la mesure où spécialement l’argent contient le rapport substitutif qu’on sait avec l’anal, la toute première œuvre d’éducation serait donc la répression de l’identification avec l’anal, de l’intérêt que lui porte le moi, né du fait que l’auto-érotisme dirigé vers l’anal se serait en quelque sorte mis à l’abri de cette première socialisation, par le symbole des « boutons » comme des trésors internes. » (p70). Peu après elle conçoit que l’argent, rapproché au process anal, devient le symbole d’échange social que le bouton ne pouvait égaler. L’idée qu’elle développe va plus loin puisqu’elle dit que « dès la naissance on était là pour appartenir à d’autres et chaque année on devait dans ce sens montrer qu’on avait grandi » (p71). Ainsi l’objet grandi sagement et renvoie à l’autre l’image narcissique qui correspond à son attente, c’est également un échange dès lors qu’il est circulaire. Lou Andréas-Salomé navigue entre le réel le symbolique et l’imaginaire comme dirait Lacan, il y a un nouage qui fait sa réalité.
Néanmoins Lou Andréas-Salomé dit avoir ressenti que seul l’invisible ne peut pas être exigé de l’autre, l’inaliénable qui « dans une famille très croyante, cette instance supérieure est remise d’elle-même » (p72) instance qui délivre « la toute-puissance de la pensée » qui continue d’accueillir les boutons d’enfance pendant que l’extérieur se montre et s’échange autour d’un narcissisme fragile. Un soi divisé « comme autrefois la pièce d’argent avait été divisée ». Lou Andréas-Salomé souligne que le lien spirituel à « Dieu remplace ici ce que Freud a appelé le roman familial : ces idéalisations de l’origine et du destin à l’aide desquelles l’enfant ne fait souvent qu’exprimer ce qui pour lui est prodigieusement évident et certain, toute plénitude et toute splendeur ». Mais le Dieu plein de cet amour et de la vie quand l’enfant perd de sa croyance, il tourne et est aussi à double visage celui du diable et de la mort.
L’enfant qu’elle a été, nous dit Lou Andréas-Salomé, est sorti d’un Dieu imaginaire, du bon grand père, « médiation parfaite entre le moi quelque peu introverti et un moi social ». C’est le temps de la puberté qui, avant qu’il arrive, était un moi familial sous l’égide de la croyance en une toute puissance de la pensée et des prémices érotiques et qui à son apogée entre dans un moi social où l’érotisme va rencontrer sa moitié. Lou Andréas-Salomé met en évidence à plusieurs reprises l’égoïsme préservé des boutons et l’érotisme à la rencontre de sa moitié. Ainsi l’autre moitié est préservée : un intérieur et un extérieur. Elle dit à ce propos « le réel du dehors est vécu mais il est reçu plutôt qu’on ne s’y abandonne tout à fait… » qui dans ce cas ne serait plus une moitié mais un tout dans la fusion donc principe inéquitable transmis par la figure éducative, elle poursuit «… autrement dit, il est vécu d’autant plus légèrement en douceur qu’il a marqué et fécondé plus vite et plus profondément, de telle sorte que le fruit de la réalité intégré au plus intime de l’être puisse désormais être porté à terme. » Lou Andréas-Salomé nous parle d’interprétation du réel qui reçut ainsi ne peut être qu’une forme d’égoïsme.
En introduction à la deuxième partie Lou Andréas-Salomé rappelle l’idée de Freud qui écrit « que la sexualité de l’homme était la plus logique, la plus facile à interpréter, tandis que chez la femme se produit une espèce de régression. » Car « la puberté qui, chez le jeune garçon, amène la grande poussée de la libido, est caractérisée chez la jeune fille par une nouvelle vague de refoulement, qui atteint tout particulièrement la sexualité clitoridienne ». Puis Lou Andréas-Salomé prolonge son idée comme pour venir lever le voile sur le questionnement de Freud ou du sien propre « Le féminin est donc ce qui a été renvoyé à soi-même par le processus de sa propre maturité, qui a été arrêté, exclu du développement final. En fait, les vertus spécifiquement féminines s’y rapportent toutes, conformément au sexe, elles sont celles de l’abnégation : là où la conscience de soi rivalise, dans ses actions purement humaines, avec celles des hommes, c’est justement de ces vertus-là qu’elle veut se reposer dans un élan libérateur. » (p 76)
Reprenant ce qui est appelé par Freud le processus de régression issu de ce que Lou Andréas-Salomé nomme l’émasculation, il se produit, dit-elle p 77, un développement singulier « le féminin justement par son retournement de l’élément sexuel à lui-même, peut s’offrir le paradoxe de séparer la sexualité de la pulsion du Moi tout en les réunissant » alors que « il est divisé là où le masculin demeure sans équivoque agressif, mais en revanche il est uni là ou l’agressivité non inhibée du masculin se sépare dans des directions opposées selon qu’elle est plus sexuelle ou plus conforme au moi ». Elle nous dit finalement que la sexualité (ou pulsion sexuelle) est intérieure chez la femme et se réuni au moi (ou surmoi) alors que chez l’homme la sexualité s’exprime par la pulsion du moi (pulsion agressive). C’est ainsi qu’elle détermine une pulsion sexuelle passive chez la femme et non nommé en ces termes active chez l’homme. La réflexion semble simpliste et pourtant elle définit un comportemental. De son expérience Andréas-Salomé relie la religiosité (emprunte surmoïque) qu’elle nomme la pulsion sexuelle passive et qui est en entente parfaite avec la pulsion du moi qui fait échos à la transmission surmoïque du père. Elle marque la différence avec le masculin en invoquant que celui-ci tente de s’interposer de par son agressivité pulsionnelle pour prendre la place du père en réponse à ce qu’elle nomme l’idéal du moi mais qui selon moi est plus proche du moi idéal c’est-à-dire de la toute-puissance de la pensée du désir de toute-puissance à remplacer le père que la passivité de la pulsion sexuelle féminine regarde avec admiration, religieusement. Dans ce féminin, Il y a le rappel de l’œdipe simple qui évince la mère pour prendre sa place et dans ce cas qu’en est-il du masculin qui dans son désir envisage la place du père ?
« En se cherchant comme producteur, l’homme se perd se perd comme possesseur de lui-même » (p 79) la phrase est forte de sens. Elle poursuit en opposant le paradoxe qui désunit et réunit l’altruisme et l’égoïsme dans ce qui anime la fonction de reproduction et celle de reproducteur, en signifiant ce qui va vers le dehors, le sperme, le don, et ce qui est intérieur c’est à dire l’œuf, l’égoïsme. J’admets qu’il s’agit là d’un discours contre une pensée propre au début du 20ème sous l’égide du patriarcat et de la religion : « En parfaite opposition à la calamité qu’entraîne le fait d’être homme, l’excessive crudité du sexuelle répartit plus en pastel chez la femme dans les colorations les plus diverses de sa nature, laissant en revanche à la base de la pulsion du moi jaillie du sang, sa teinture érotique indélébile. ». Il y a ici dans ce discours une forme de clivage qui suit son développement par la suite pour s’annuler.
La sexualité n’est pas que reproductive nous dit-elle, elle est aussi égoïsme, altruisme, détente, elle est autre chose qu’une seule fonction de reproduction qui correspond à l’instinct de renouvellement de l’espèce. Elle est autre que fonctionnelle : « Chaque fois qu’il apparaît, le sexuel déborde complètement de son domaine spécial, il se manifeste comme empiétement sur l’ensemble de l’organisme, comme intervention positive en lui. ». Même si de nos jours cela paraît évident, Lou Andréas-Salomé apporte sa revendication : « Le sexuel joue de ses reflets non seulement entre les différents modes d’expression vitaux, mais aussi psychique, de façon aussi difficile à comprendre et contradictoire, n’étant affecté à rien de spécial, étant par nature invasion et créé expressément pour mettre le monde sens dessus dessous. » Cette réflexion est à replacer dans son époque et vient soutenir la recherche de son ami Freud.
Page 80, Lou Andréas-Salomé interroge : pourquoi la jouissance provisoire ne diminue-t-elle pas l’appétit d’amour et pourquoi la jouissance orgasmique produit-elle une faim d’excitation ? Ainsi elle se questionne sur le besoin en tentant d’être pragmatique et comparant le sexuel aux besoins et à mon avis le besoin du sexuel. Remarquons que sa réflexion prend appui sur celle de Freud, elle lie le développement psychosexuel de l’enfant de ce que Freud nomme « la splendide isolation » à la fusion dans le sexuel. Elle évoque l’objet mère avec lequel le nouveau-né fusionne comme il est son prolongement. Elle parle d’objet retrouvé qui n’avait pas été trouvé.
Lou Andréas-Salomé érige l’inversion physiologique féminine évoquée par Freud comme la capacité à ressentir intérieurement toute la sensualité et la tendresse de ce que Freud appelle « les plaisirs préliminaires » et que le féminin ressent comme l’acte de tendresse élaborant l’état amoureux, l’unité du paradoxe du féminin. Le « plaisir final » dit-elle, serait la menace de la cohérence féminine. Le mystère féminin « insondable » résiderait dans « l’expression originaire de l’amour dans ses transferts reste présente tout au long de la vie de façon plus sensible qu’à l’homme… » (p84) Lou Andréas-Salomé délivre ce qu’elle ressent de la sublimation spirituelle qui flirt avec la religiosité qui comme il l’a été dit au début de cette lecture se réfère à l’instance surmoïque par la figure paternelle et la représentation religieuse, le père. La sublimation se symbolise en un tout dans l’acte érotique et se personnifie par les contours humains qui la conduisent à idéaliser en celui-ci le tout.
Elle nous parle de la complémentarité du féminin et du masculin entre désir et objet. Lou Andréas-Salomé différencie les traits masculin et féminin dans l’atteinte pour le premier de l’objet et pour la seconde du désir. C’est en ce sens dit-elle que le féminin s’unit au masculin pour ne pas s’anéantir par son abandon au seul désir mais aussi à l’objet que le masculin semble vouloir atteindre par sa surestimation sexuelle : « C’est sans conteste la part la plus précieuse (qui n’a pas la fragilité de la fleur, mais la dureté de la pierre précieuse) de même que le don le plus précieux de l’homme à la femme, c’est la part, élaboré à partir du sexe, de tendresse et d’affection. » Lou Andréas-Salomé n’hésite pas à sortir de sa dévotion à la fidélité pour aborder la question de l’enfantement comme acte culturel. L’identification de la mère à l’enfant (p 86) a pour Lou Andréas-Salomé l’effet de socialisation comme résolution à son égoïsme : « il engendre la relation avec l’enfant comme relation avec le second être, avec l’Autre, avec le monde en dehors d’elle qu’elle a donné de sa profondeur. Elle nous dit que « l’image la plus haute de la femme n’est donc pas « la mère et l’enfant » mais si l’on exprime selon les images chrétiennes de la madone – la mère au pied de la croix : celle qui sacrifie son fils à l’œuvre de celui-ci, au monde et à la mort. » Ici est rejointe l’idée première surmoïque qu’il faut replacer en son temps mais qui symboliquement met en place la réalisation du phantasme du désir œdipien féminin d’avoir un enfant du père dans toute sa dimension symbolique.
Lou Andréas-Salomé nous dit que le féminin n’est pas seul détenteur de l’esprit et des sens mais que chez certains masculins « ces esprits avancés, ces créateurs, qui les oblige à créer une œuvre, témoin grave et joyeux de cette réunification pour tous ceux qui passent et vont de l’avant » (p87), chez ceux-là, existent l’esprit féminin, s’il est ce qu’il est dans son savoir-faire c’est qu’ils détiennent en eux « cette double nature (qui) est devenue créatrice, créant des œuvres ce qu’est la femme par nature. »
L’esprit féminin est indépendant culturellement. Elle s’attache au masculin et concilie les oppositions : « dans ce qui la rattache au propre de l’homme, à ce qui entraîne l’homme au loin, elle a le moins besoin de s’éloigner de son entourage naturel ni, en le brisant, de le quitter. Elle poursuit en disant que la femme reste « au centre d’elle-même formant autour d’elle des cercles de plus en plus larges – selon ses dimensions les plus profondes.
Alain Giraud