Fiche lecture "L’organisation du comportement d’attachement et ses développements ultérieurs"(chapitre 17) - John Bowlby « ATTACHEMENT ET PERTE » - éditions puf 5ème edition 2002- 1er edt. 1978
«Le comportement d’attachement ne disparaît pas avec l’enfance mais qu’il persiste au contraire toute la vie » (P463), voilà comment débute ce dix-septième chapitre. Cela laisse présager ce qui est pressenti comme une empreinte qui se prolongera dans la vie de tout individu. Ce qui devient intéressant sont les moyens diversifiés que l’enfant déploie pour tenter d’arriver à ses fins, ce qui est appelé « les buts assignés ». John Bowlby signale qu’à l’âge adulte ce dernier agira en conséquence des comportements intégrés jusqu’à l’âge d’un an en plus de ceux qui seront approfondis à partir de cet âge. Il segmentarise l’évolution de ce qui sera selon l’organisation des schèmes comportementaux en rapport aux âges de la première année puis de la seconde jusque-là troisième.
Selon lui jusqu’à l’âge de 8 ou 9 mois l’enfant est dans une sorte de période expérimentale de ses comportements et réagirait en termes de satisfaction ou d’insatisfaction, qu’il est possible de situer à l’âge de la formation du clivage et projection entre 3 et 6 mois, voire jusqu’à la détresse, lors du sevrage psychique entre 6 et 9 mois, en cas d’insatisfaction profonde. À partir de cette échéance, qui est à considérer selon une variabilité possible, et jusqu’à son âge d’un an l’enfant s’approprie des comportements qui l’aideront à produire ses sentiments de sécurité qui mettront fin à ses sentiments d’insatisfaction voire de détresse. Je pense qu’il est à comprendre que durant ce passage, qui est appelé par M. Klein « phase dépressive », l’enfant pourra effectuer une intégration-transformation des mécanismes des défenses infantiles en passant progressivement par les différents phantasmes d’engloutissement, de régression et de translation. C’est certainement en ce sens qu’il nous dit qu’« à partir de cette phase (1 an et durant la seconde année), il commence à être capable de stratégies comportementales de telle sorte qu’il parvienne à ces conditions. » (P464) L’idée de « volonté à soi » est introduite par l’auteur et serait parallèle aux destins du processus de développement qui formeront ce qu’il appelle les buts assignés à entendre comme les objectifs à soi. Néanmoins les buts prévisibles de l’enfant changeront en fonction de l’intensité de l’expérimentation que l’enfant fera pour les atteindre et de la réponse qui y sera apportée par la figure maternelle pour créer l’attachement. < br >
Bowlby nous conduit vers la stratégie de l’enfant en considérant que plus le but assigné répond globalement à la demande plus il devient complexe : « Leur degré particulier de complexité dépend en partie du but assigné choisi, et en parti de l’estimation qu’a le sujet de la situation qui prévaut entre lui et sa figure d’attachement, et en partie aussi de son savoir-faire pour mettre au point un plan répondant à cette situation.» (P465)
De l’interaction enfant-figure maternelle dépendra aussi la variabilité des formes d’attachement. Les stratégies seront changeantes ou s’adapteront dans l’interaction selon qu’elles dépendent de la proximité avec la mère ou de la demande d’affection. Dans d’autres cas si le but de l’enfant dans le caractère d’attachement devient plus exigeant alors l’interaction sera plus complexe de part et d’autre puisqu’entrent en jeu les objectifs de la figure maternelle. Dans ce cas l’auteur nous dit : « sa stratégie à lui devra donc presque certainement inclure des mesures destinées à assurer qu’elle (la figure maternelle) se comporte de la façon désirée. » (P465) Dans cette interaction enfant-mère il faut considérer, nous dit John Bowlby, les capacités de l’enfant à pouvoir « voir avec les yeux de l’adulte » pour établir une stratégie assez élaborée afin que ses buts soient atteints. Cela ne peut être effectif chez l’enfant qu’à partir de sa septième année.
Il peut être rappelé que de 3 ans à 6 ans la phase phallique va entraîner l’enfant dans le bouleversement de ses affects lorsqu’il expérimentera la complexité œdipienne normale et inversée dans lesquels vont s’exercer les stratégies d’approche vers les deux figures et où viendra se mêler la confrontation au contenu des différentes lois et interdictions instaurées par la figure paternelle qui fixeront les limites du lien d’attachement à l’une et à l’autre.
L’idée que la stratégie élaborée par l’enfant puisse effectivement atteindre ses buts prévisibles dépend en grande partie de différentes capacités que l’enfant ne peut contenir qu’à partir de l’âge de sept ans, nous dit l’auteur en se référant à Piaget. L’enfant doit acquérir la maturité cognitive qui lui permettra de convenir que l’autre a « des buts et des plans », l’aptitude à prévoir les conséquences des buts de l’autre, la capacité d’élaborer une forme d’attachement visant au changement de l’autre. On comprend bien que les compétences stratégiques doivent servir d’une part à prévoir l’objectif à partir de soi, d’autre part à anticiper la réaction de l’autre dans l’interaction, et pour finir : voir avec le regard de l’autre. L’élaboration d’un tel système relève d’une élaboration complexe que l’enfant, dans un cas de figure dit normal, pourra concevoir à partir de sept ans. Avant cet âge « quand il est mis à l’épreuve, la seule perspective qu’il peut imaginer clairement est celle qu’il voit de son propre point de vue. C’est à cette limitation cognitive que Piaget applique le terme « d’égocentrisme ». » (P466). La communication de l’enfant avant cet âge sera essentiellement centrée sur ses besoins sans avoir la capacité de se coordonner avec ceux de l’autre. La période de 3 à 6 ans est une période durant laquelle « un enfant élabore son « image » de sa mère. Ce n’est que graduellement par conséquent que le modèle qu’il a d’elle devient adéquat au rôle qui est le sien : l’aider à former des plans pour influencer la façon dont elle se comporte à son égard. » (P467)
Il est à noter que le « monde interne » de l’enfant se développe à partir de 1 ans et cela durant la deuxième et troisième année par l’acquisition du langage. L’accès à la symbolisation est donc l’accès à la fabrication du monde interne de l’enfant. Voilà un outil de plus qui participera à l’élaboration du lien d’attachement dans l’interaction à la figure maternelle et bien entendu au tiers.
Il a été vu jusque maintenant que l’enfant jusque 6 ans n’a pas les capacités cognitives mais qu’il les développe pour acquérir les compétences de voir avec le regard de l’autre et que l’acquisition du langage va lui permettre de construire son monde interne à partir de l’âge d’un an. Les interactions qui vont s’ensuivre vont mettre en jeu les exigences de chacun. Il y a donc les enjeux de l’adaptation et de la négociation qui entrent en ligne de compte. Néanmoins ceux-là aboutiront que par un effort de part et d’autre qui devra souvent passer par le conflit pour émerger sur une acceptation commune aux deux parties. On peut envisager ce conflit de plus ou moindre intensité selon les buts assignés de chacun avant qu’ils soient rectifiés pour aboutir à de nouvelles formes qui participeront au lien d’attachement.
Je peux entrevoir ces conflits comme des variations de la castration qui dans une logique pourrait préparer l’enfant à vivre le stade phallique à plus ou moins forte intensité selon les formes de négociation qui auront été mises en place avec lui ou pas. Bien entendu, écrit Bowlby, le conflit souvent inévitable, ce rapport de force, est engagé tant de la part de l’enfant que de la part de la mère qui usera de sa posture d’autorité pour atteindre ses buts. Je peux envisager la formation de la personnalité à partir de ces interactions ou peut être qu’à partir d’une personnalité adulte définir l’hypothèse de la communication interactive lors de l’enfance. Il nous dit « Sur un mode complémentaire, l’enfant s’efforce de façon intermittente à changer le comportement de sa mère et sa proximité avec lui ; ce faisant, il est probable qu’il adoptera au moins en partie, certaines des méthodes qu’elle emploie elle-même » (P470)
Il est intéressant de comprendre que les capacités cognitives de l’enfant vont se développer, à partir d’un an, en s’attachant aux dimensions d’espace et de temps. C’est-à-dire que ces deux dimensions vont faciliter l’aspect sécuritaire qui est en relation directe avec le lien d’attachement de l’enfant à sa mère. C’est au quatrième anniversaire que l’enfant aura comme exigence supplémentaire celle de la disponibilité de la mère.
Concernant le maternage de l’enfant, John Bowlby soulève le sujet des troubles du comportement. Il n’apporte pas de réponse précise quant au trop ou pas assez de maternage et indique que l’enfant sait ce dont il a besoin ou pas concernant la nourriture par exemple. C’est vers l’âge de la solarisation que l’enfant apprendra la négociation pour développer son autonomie à l’extérieur. Il souligne brièvement que le trouble du comportement peut être issu des schèmes distordus de maternage de la mère avec le transfert de ses propres désirs inconscients. Il dit bien « Les troubles qui surgissent de trop de maternage sont bien moins courants : ils proviennent non pas de ce qu’un enfant est insatiable à l’égard de l’amour et de l’attention, mais de ce que sa mère a une compulsion à les déverser sur lui. » (P472)
« La capacité de l’homme à utiliser le langage et d’autres symboles, ses capacités à édifier des stratégies et des modèles, ses capacités à une collaboration de longue durée avec d’autres et à des luttes interminables, voilà ce qui fait l’homme. Tous ces processus ont leur origine dans les trois premières années de la vie, et tous, en outre, sont inscrits dès les premiers jours dans l’organisation du comportement d’attachement. » (P473)
Alain Giraud