Du besoin au désir il y a une frontière, un passage obligatoire qui mène de soi à la capacité à symboliser l’autre dans ce qu’il est et ce qui le construit. Mais l’individu est aussi fait de carences qui freinent quelques fois sa réalisation. Le vide, le manque, le besoin, font dire « j’ai besoin de …. ». Une fois le besoin satisfait alors le désir peut exister dans ce qu’il est: un phantasme, un ressenti modifié du besoin.
Par définition l’homme découvre ses besoins physiologiques par la nécessité de les assouvir dès sa naissance. Il existe donc un lien entre besoin et nécessité. C’est à partir de 18 mois que l’enfant nouveau né va se conscientiser et accepter de différencier psychiquement sa maman de lui-même (stade du miroir).
Il découvrira celui qui est appelé le tiers c'est-à-dire le père ou tout autre figure qui fait référence. Ensuite en grandissant "Le petit enfant de quatre ans voit éclore en lui une force nouvelle, un élan inconnu, le désir d'aller vers l'autre vers le corps de ses parents pour y trouver l'ensemble de ses plaisirs érogènes connus avant cet âge. " ( J. D Nasio - L'Œdipe, Éd. Petite Bibliothèque Payot, 2005, p34 ). Avant cela le nouveau né est dans l’apprentissage de l’assouvissement de sa soif, de sa faim, de dormir, de respirer, de ses pulsions tournées vers lui-même puis vers l’extérieur, et toujours à la recherche d’un principe qui est celui de la satisfaction du plaisir, le plaisir de l’assouvissement de ses besoins. On peut dire alors que le besoin se réfère aux pulsions d’autoconservation par lesquelles l’enfant réagira instinctivement. Rappelez-vous de l’enfant qui se nourrit aussitôt au sein, les cours ne lui ont pas été nécessaires. Il est également important de parler du besoin d’amour de l’enfant nouveau né, ce besoin d’être entouré, caresser par la figure maternelle. A ce sujet Winnicott s’accorde à dire « le bébé a besoin avant de toutes ces expériences plutôt paisibles (…) il abesoin d’être pris avec amour, c'est-à-dire de façon vivante, sans embarras, sans angoisse, sans tension » (Winnicott - La mère suffisamment bonne)
Néanmoins pendant toute cette première période de 0 à 18 mois (durée théorique) l’enfant n’aura pas toujours une réponse satisfaisante à ses besoins. C'est-à-dire qu’aussitôt réclamé, le sein n’est peut-être pas toujours prêt à se présenter, et c’est somme toute bien normal : la maman a aussi ses occupations et elle est quelques fois absente. Sans oublier bien entendu l’environnement qui influence le développement de l’enfant vers une autonomie nouvelle qui coïncide quelque fois avec celle que l’enfant réclame et qui fait référence à une mémoire qui se transmet de génération en génération et provoque de temps en temps des discussions fortes et intéressantes. Tout cela pour dire que les besoins sont physiologiques mais que la non réponse automatique à ces besoins va créer des manques de satisfaction que l’enfant va apprendre à réguler par des mécanismes tout aussi naturel pour se protéger de ces manques que nous pourrions appeler des frustrations. Alors dans ce qui vient d’être dit, il y a la notion du besoin satisfait qui assouvit le principe de plaisir qui peut entraîner le manque et dont l’enfant se protège par la création de mécanismes qui le protègent à l’apparition de la réalité devant laquelle il se trouve confronté. C’est ainsi que le Moi de l’enfant se forme, il est médiateur entre la réalité interne et la réalité externe de l’enfant. Le Moi adulte contient ces traces mnésiques, ses ressentis, et la forme verbale et émotionnel qui exprime le besoin en porte les stigmates.
Il est remarquable qu’à l’âge de la parole les mêmes besoins soient aussi présent qu’à la naissance mais à la différence qu’ils sont verbalisés:« J’ai besoin de dormir », « j’ai besoin d’amour », « j’ai besoin de l’autre », « j’ai besoin de plaisir », « j’ai besoin de prendre soin de moi » « j’ai besoin de boire de l’eau », « j’ai besoin d’air », « j’ai besoin de manger », « j’ai besoin de rire », « j’ai besoin d’estime », « j’ai besoin d’être bien avec moi » « j’ai besoin d’uriner, de déféquer » etc. Ils font référence au même principe de plaisir de satisfaction. Ce sont exactement les mêmes nécessités mais qui se déclinent d’autant plus qu’ils sont conscientisés. " Les sensations éveillent le désir, le désir appelle le fantasme, et le fantasme s'actualise à travers un comportement ou une parole" ( J. D Nasio - L'Œdipe, Éd. Petite Bibliothèque Payot, 2005, p41 )
Ces expressions ci-dessus que nous utilisons de temps à autres désignent ce qui nous est vital. Le besoin indique le vital sans lequel nous mourrions : ce sont les grands thèmes de la précarité qui sont la faim, le froid, le toit, la soif, l’amour. Par conséquent, la satisfaction des besoins physiologiques répond au besoin de vivre qui lui-même est stimulé par les motivations de chacun à veiller à apporter une réponse bienveillante à chacun de ses besoins. Il y a donc une notion nouvelle qui est la motivation et qui ne peut exister que si les besoins vitaux sont comblés. En reprenant A. Maslow et la description qu’il fait des besoins de l’individu, il nous fait remarquer que si les besoins physiologiques ne sont pas satisfaits, il est impossible à l’individu de satisfaire ses besoins secondaires comme ceux de la sécurité, du confort, de l’estime, de l’appartenance et de l’accomplissement de soi. A ce sujet Lacan dit cette phrase complexe mais entendable « C'est du fait de l'entrée du bonheur dans la politique que la question du bonheur n'a pas pour nous de solution aristotélicienne possible, et que l'étape préalable se situe au niveau de la satisfaction des besoins pour tous les hommes » (Lacan Le séminaire, livre VII, l'Ethique de la psychanalyse, pg 338). En ce sens Lacan rejoint A. maslow la réalisation de l’individu ne peut exister sans la satisfaction de ses besoins. L’atteinte du plaisir personnel, du bien être, du mieux être, guide la motivation de tout individu. Cela veut dire que si les besoins de base de l’individu sont satisfaits alors sa motivation à apporter une qualité nouvelle à son besoin satisfait va surgir. Remarquons que ce principe est utilisé commercialement en créant l’action d’achat chez le consommateur qui est basé sur l’enrichissement par la qualité, par le contenu, par l’efficacité, le gout, la facilité, etc. des produits proposés. Ce qui va motiver l’individu est ce qui va apporter une qualité au besoin satisfait. C’est ainsi que nait le désir dans sa dimension de relation à l’extérieur. Je reprends : Le besoin est celui de l’autoconservation, le désir est la qualité que j’apporte au besoin. Par exemple je mange lorsque j’ai besoin de manger, lorsque j’ai le désir de bien manger alors je déguste et toute la différence est là entre le besoin et le désir. Mais approfondissons cela en disant que si j’ai besoin de déguster alors je vais faire appel à mes ressentis et si mes ressentis ce sont construis dans mes premiers mois de la vie, alors je revis quelque chose de l’ordre de cette époque infantile lorsque j’éprouve le besoin de déguster. Ici les motivations sont guidées par les souvenir inconscients de l’agréable. Le désir serait-il un avatar du besoin ? (à réfléchir)
A la naissance, personne n’est égal à l’autre : le niveau de besoin affectif est différent, la capacité de résistance à la frustration l’est également. La raison en est que ce qui a été vécu in utero est différent de l’un à l’autre. Sachant aujourd’hui que le placenta transmet le stress de la mère, celui qui a ressenti ce stress partira avec un handicap par rapport à celui qui ne l’a pas ressenti. Egalement, nos besoins se transforment, c’est -à-dire que la satisfaction du besoin, étant primordial, va évoluer et se modeler en intensité plus ou moins importante au cours du développement de l’individu.
Nous parlions à propos du besoin carencé d’un manque d’un vide dans le besoin qui ne sera jamais comblé par définition. Pourtant le besoin de l’autre est souvent dans cette illusion. Rappelez-vous cette expression de nos parents que vous utilisez peut-être « Je vous présente ma moitié ». Moitié de moi ? Mais si cette moitié de Moi se sépare de Moi mon Moi sera amputé d’une partie de lui-même ? Mais c’est affreux, aurait pu dire Raymond Devos ! Un couple amoureux se dira au clair de lune « J’ai besoin de toi », dit autrement, l’un porte la responsabilité de la satisfaction du besoin de l’autre. Un peu lourd ce fardeau, non ? Il y à dans le besoin de l’autre, dans la moitié, ou encore dans l’expression « mon amour » par exemple, cette idée de fusion, de ne faire qu’un avec l’autre, cette réminiscence de ressenti archaïque que nous avons tous vécu alors que nous n’avions que quelques mois. Lorsque Irvin Yalom fait dire à Nietzsche qui s’adresse à Breuer « je ne crois pas que c’était Lou Salomé que vous désiriez, mais bien quelqu’un comme elle » (Irvin Yalom – Et Nietzsche a pleuré – Ed. livre de poche – p 479) le souvenir inconscient est bien là et il guide à satisfaire notre carence de l’autre par l’autre qui va guérir momentanément notre vide, notre besoin, notre manque. Grande illusion d’utiliser l’autre comme un « objet pansement » qui viendrait combler un vide un trou dans lequel se trouveraient à la fois les séquelles transgénérationnels transportés par les gènes, mais aussi les carences de l’enfant durant son développement. Bon, dans ce cas il faudrait parler d’un objet instruit, pensant, réfléchissant, ressentant et ayant comme seul objectif d’utiliser son temps à combler ce qui vous manque ! Vous comprenez bien que c’est une illusion. Lors des premiers mois l’autre a été la mère protectrice et bienveillante qui a su donner toute son attention et son amour à ce petit enfant pour lui permettre de grandir dans les meilleures conditions. Mais devenu adolescent et adulte l’individu ne peut plus être dans le besoin de l’autre à moins de combler son vide par l’illusion d’un pansement imaginaire. Pas facile en effet.
Le besoin carencé est à la recherche de son morceau qui lui manque : Pardon auriez-vous le morceau manquant ? Deux solutions s’offrent au sujet dans ce cas : soit continuer à le chercher pour l’obtenir, ou soit accepter d’être troué, vide d’un besoin non complet. L’enfant a appris lors de ses premiers mois à se défendre de l’insatisfaction. Il a refoulé dans son inconscient son insatisfaction en mettant en place des mécanismes de défense inconscient puisqu’il comprenait que malgré ses efforts il ne serait jamais dans la complétude. Puis il s’est développé, l’individu a grandi avec ses insatisfactions inconscientes, il s’est adapté à son environnement sans accepter, ni renoncer. Il s’est habitué à exprimé ses demandes cachées en se faisant croire qu’il était dans le désir au lieu de conscientiser ses besoins carencés. Ainsi se confondent besoin et désir.
« Vous aimez le désir, et non l’être désiré » (Irvin Yalom – Et Nietzsche a pleuré – Ed. livre de poche – p 182). Voilà au travers de cette phrase écrite par Irvin Yalom que le désir peut être également le besoin de désirer et non pas le désir de l’autre dans son unique sa différence. Ce qui vient d’être succinctement dit explique que le besoin est tourné vers soi, vers la souffrance du manque d’une partie de soi alors que le désir est orienté vers l’autre dans sa dimension différenciée de soi et de l’autre. Accepté que l’autre est différent de nous, accepté que l’autre ne puisse combler ce qui nous manque, permet de regarder l’autre dans sa dimension unique. Le désir est la relation, le besoin est le manque ! Ainsi, si le sujet est dans le désir cela traduit qu’il a accepté son manque et que dans ce cas il comprend qu’il ne peut pas demander à l’autre de le combler. "
Etre au courant de ses manques donc de ses besoins insatisfaits permet de considérer la relation à soi et à son environnement dans une dimension nouvelle de relation bienveillante. Le but de la psychothérapie est bien là « accepter ses manques ». L’œil avisé extérieur d’un thérapeute peut vous aider à mieux identifier vos manques et à les accepter.