La procrastination ou prendre le temps de se rencontrer Alain Giraud contact ___________________________________________________ Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayant droit ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. Pour toute autorisation contacter l'auteur.
Quand on procrastine on ne fait pas rien puisque l’on fait autre chose pour éviter d’exécuter une tâche que nous remettons au lendemain. Toutes les personnes que j’ai pu recevoir dans mon cabinet ressentent une culpabilité à procrastiner. Certainement parce qu’on leur apprend dès leur plus jeune âge à se dépêcher, à ne pas être en retard, à faire leur devoir en temps et en heure, à ne pas être dans la lune, à ne pas rêver, à être à la hauteur, etc. La procrastination peut être thérapeutique si on cherche à en comprendre les causes qui empêchent d’avancer comme on le voudrait.
Ce qui se cache derrière la procrastination
La procrastination est-elle réellement un empêchement à vivre ou alors est-ce que la vive allure de notre société empêche de jouir du temps que nous voulons prendre à être dans le plaisir plutôt que dans une réalité ou chaque seconde est à mettre à profit. Prendre le temps et remettre au lendemain ce qui représente une pénibilité, voilà qui est vraiment procrastiné : tâche administrative, ménage, voir des amis, achats, rendez-vous chez le médecin, ne jamais payer ses factures à temps, rendez-vous chez le dentiste, retarder la correction de copies, etc. Échapper au devoir provoque la culpabilité !
Est-ce que procrastiner c'est désobéir ?
Procrastiné serait-il un acte manqué, c’est-à-dire un acte qui nous guide inconsciemment à ne pas faire ce qui est une obligation pour y échapper ? Dans ce cas puisque l’acte manqué est un refoulé qui re-surgit, il s’agirait d’un retour de ce refoulé à désobéir à l’injonction de faire ce que nous avions gardé dans un coin de notre esprit sans trop s’en préoccuper, voire oublier ? Voilà où se trouve la culpabilité dans le désobéir inconscient au devoir à accomplir.
Le temps de la procrastination
On recule l’échéance du temps, c’est-à-dire le temps qui se termine, ou encore le temps qui nous est réservé à faire autre chose que ce qui est à faire. Le temps devient une injonction à ne pas perdre ! Mais quel est ce risque encouru à faire ce qui est à faire et s’en débarrasser au plus vite pour ne plus avoir à le faire ? Cette question est propre à chacun et chacun a sa propre raison de procrastiner. Raison consciente ou inconsciente d’ailleurs. La fatigue peut être une source de la procrastination, la contemplation, tout comme certaines décisions de vie qui sont impossibles à contourner. Est-ce que se laisser le temps de prendre les décisions et s’écarter de la pression du temps devient une procrastination ? Le temps et la façon de la réflexion ne sont pas les mêmes pour chacun.
Le processus de répétition
Le procrastineur pathologique entre dans un processus de répétition pour échapper au déplaisir au profit de son plaisir, même s’il sait que c’est néfaste. Pourquoi néfaste ? Parce qu’au fur et à mesure qu’il procrastine, il se retire du monde du présent, il voit défiler le temps autour de lui et les exigences de sa vie le ramènent à une réalité qui lui déplait. Mais pourquoi donc cette réalité serait déplaisante ? C’est bien ce qui est à trouver chez chaque sujet qui vient consulter pour être aidé à remonter dans le train en marche soit parce qu’il le décide soit parce qu’il est poussé par un tiers qui lui conseille de trouver une solution.
Un conflit entre plaisir et réalité
Le principe de plaisir que pourrait procurer la procrastination entre en conflit avec le principe de réalité du temps qui arrive à son échéance. Si nous faisons avec le temps qui nous est imparti pour réaliser ce que nous devons exécuter alors nous pouvons concevoir que chaque exécution nous rapproche de la fin de notre propre temps, c’est-à-dire de notre propre fin. Et plus les temps se succèdent et plus celui de la fin approche, notre finitude. « Le procrastineur pathologique a peur de la mort il se donne l’illusion d’y échapper. De façon chronique il répète, compulsion de répétition, même s’il sait que cela lui est néfaste. » Par conséquent pour échapper à sa réalité le procrastineur peut avoir pour raison inconsciente de faire intervenir le plaisir pour oublier que son temps avance vers la fin. En d’autres termes le procrastineur peut repousser inconsciemment l’échéance de la tâche à exécuter non pas pour ne pas se séparer d’elle mais plutôt pour ne pas se séparer de son temps qui lui est réservé et éviter d’avancer vers sa fin.
La peur de l'échec
D’une autre façon, le sujet qui procrastine de façon chronique peut repousser inconsciemment ce qui est à faire parce qu’il redoute de ne pas pouvoir l’exécuter aussi parfaitement qu’il croit devoir le faire. Dans ce cas la tendance obsessionnelle pointe le bout de son nez induit par la peur de l’échec. Lacan écrit à propos du maître et de l’esclave de Hegel « Telle est la raison intersubjective, tant du doute que de la procrastination qui sont des traits de caractère chez l’obsessionnel. » Pour certains, éviter l’échec c’est ne plus y penser, oublier ce qui représente une épreuve insurmontable, aussi minime soit-elle. Dans le cas de l’obsessionnalité le sujet s’évertue à contrôler et maitriser tout ce qui est en son pouvoir pour réussir jusqu’à s’empêcher de dormir par des ruminations incessantes pour ne pas sombrer dans l’échec. La peur de l’échec crée la fuite qui n’empêche pas dans ce cas de penser à ce qu’il reste à faire au sujet et à se mettre en défaut par rapport à sa conscience et donc culpabiliser en ce sens. Oui dans ce cas on peut échouer face aux possibilités de succès car le seul senseur qui juge de notre succès est nous-même. Honorer un délai c’est se débarrasser d’une exigence de perfectionnisme. Être à la hauteur du parfait peut freiner de faire ce qui est à faire par peur d’échouer. Cela crée une angoisse chez le procrastineur. Remettre au lendemain pour que la chose à faire soit parfaite. Il y a bien l’idée de la procrastination qui crée une véritable pression intérieure. L’idée alors serait de se défaire du perfectionnisme.
On a tous une bonne raison de procrastiner
La procrastination est l’arbre qui cache la forêt des méandres psychiques dans lesquels on pourra retrouver les raisons personnelles du sujet à ne pas vouloir se séparer du monde du plaisir, ou à ne pas vouloir avancer vers son succès qui nourrit la confiance et l’estime en soi, ou peut-être même à fuir la satisfaction de réussir. Dans tous les cas, le sujet qui procrastine recule le temps de l’individuation et alimente inconsciemment sa dépendance à ce qu’il ne veut pas quitter, il entretient sa culpabilité sous le poids de l’obligation. Sa souffrance psychique est importante et ne doit pas être prise à la légère. La procrastination est parfois la résultante d’une résistance issue d’une angoisse cachée au fin fond de nous-même. Dévoiler cette angoisse peut nous libérer d’elle, de la pression qu’on s’oblige, de la culpabilité à reculer, de l’anxiété à tout vouloir contrôler dans le fantasme de réussir.
La procrastination peut être thérapeutique
La procrastination peut être thérapeutique car laisser le temps de l’apprentissage vise à la maturation car la pression du temps crée l’angoisse de ne pas y arriver, de ne pas être à la hauteur, de l’échec. Apprivoiser le temps pour en faire l’équilibre avec soi, c’est-à-dire ne pas être dans l’exigence de l’exactitude de l’Autre mais dans l’acceptation de ce que l’on est avec sa maturation. La question à se poser introspectivement est : pourquoi je tarde à faire cette chose-là ? Il ne s’agit pas là de trouver de solution mais d’en comprendre les causes et vivre mieux avec. Reconnaitre son vrai désir et prendre le temps de s’apprendre, de se rencontrer. Le principe est donc d’introduire du plaisir dans la réalité. De le découvrir sans avoir pour comme objectif la recherche d’être ou de faire du parfait qui est une souffrance puisque rien, ni soi, n’est parfait. De quoi sera fait demain si ce n’est que de ce qu’on accomplit jour après jour aussi imparfait soit-il. Accepter le temps de comprendre, d’apprendre ce qui fait reculer pour mieux avancer à petits pas. Se défaire de l’idée de la perfection et apprendre à faire ce qui pour certain est évident et pour d’autres représentent une véritable difficulté à réaliser.
Bibliographie
Mathilde Ramadier « apprivoiser sa procrastination », 2023
Thibaut Sallenave "Petit traité de la ponctualité", 2024
Jacques Lacan, Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse