Comment comprendre que le cadre thérapeutique est le garant du contre-transfert et que ce dernier l’est tout autant pour celui-ci ? Non seulement il permet l’émergence de l’inconscient mais il est aussi un contenant défendant, une limite entre le patient et le thérapeute. Néanmoins, il y a une différence notoire en fonction du cadre pour le névrosé et le patient limite. L’analyse des patients névrosés repose sur la répétion d’une relation passée alors que pour l’état limite, l’analyste devient l’objet de transfert, c’est-à-dire de la projection délirante du patient sans distinction avec l’objet du passé.Si l’analyse consiste à faire intervenir un tiers, c’est-à-dire à constituer la parole de l’absence, il est juste de se demander à quel moment la répétition de la relation passée cède le pas à une relation qui a une valeur dans le présent pour le patient limite. En ce sens, pour l’état limite, comment travailler la carence affective sans s’offrir en tant qu’analyste comme objet de carence ? C’est bien parce que le patient limite met à mal la frontière entre le patient et le thérapeute que ce dernier est investi à la fois en tant qu’objet du transfert et objet réel.
Au sujet du contre-transfert comme réaction secondaire du transfert du patient, C. Thompson cite le transfert primaire de l’analyste à certains moments de la cure notamment lors de la régression. Le névrosé renonce au cadre analytique, pour l'état limite il s’installe dans la relation au thérapeute et défie sans cesse l’analyste. Pour favoriser cette relation qui a pour valeur la régression du patient l’analyste ne peut pas être dans une position défensive, bien au contraire.
Alors que chez les névrosés les mécanismes de défense préservent le refoulement des retours des refoulés, chez les états limites le mécanisme de défense délimite l’intérieure et l’extérieur. Ainsi nous dit C. Thompson si l’analyste garde une posture défensive alors il maintient le patient limite dans son extérieur. Au contraire l’analyste doit accepter d’être pris comme objet du patient limite pour entrer dans la face intérieure de cette frontière limite. C. Thompson décrit l’interaction transférentielle entre le patient limite et son analyste. Est mis en jeu dans cette interaction la considération des limites de défense constituée par les mécanismes et qui dessinent un extérieur et un intérieur. Pour favoriser le transfert du patient limite il est nécessaire que l’analyste quitte sa posture défensive face aux agressions du patient limite et qu’il en devienne l’objet. La malléabilité psychique de l’analyste va alors favoriser l’opération transférentielle du sujet. C’est ainsi que l’analyste peut proposer au patient limite un moi auxiliaire comme l’exprime M. Little. Un moi auxiliaire qui va rassurer sur le monde extérieur. Pour ces patients, nous rappel C. Thompson à propos de Winnicott, ce qui va donner sens au cadre analytique est la personnalité du psychanalyste. Il est nécessaire que le patient ressente la haine de l’analyste sans quoi ses propres affects peuvent s’en trouver déréalisés. La fonction contenante du cadre devient le garant de ce qu’il s’y passe à l’intérieur et par l’interaction transférentielle. Il serait un élément du transfert tant du côté du patient que de celui de l’analyste. Dans le cas du névrosé le cadre n’a pas la même fonction, il installe une distance réelle et psychique qui favorise l’émergence du « transfert et de son interprétation ». (36) Entre l’objet subjectif et l’objet perçu objectivement, il y a le fossé (gap) où se situe le symbole. Par conséquent, il est nécessaire que dans le jeu intertransférentiel, le patient limite puisse percevoir l’objet réel qu’est l’analyste. Celale rassure sur le fait que l’analyste n’est pas que « l’objet de leur transfert, c’est-à-dire que l’on existe en dehors de leur projection. »
De la crainte de l’effondrement du patient état limite, par conséquent la crainte de l’extérieur de la frontière limite, il s’agit de montrer au patient limite que ce qu’il craint a déjà été vécu dans le passé. Mais comment restituer au patient limite ce qui a eu lieu sans que le moi du patient ait été assez constitué ? « Le patient doit s’en souvenir, écrit Winnicott, mais il n’est pas possible de se souvenir de quelque chose qui n’a pas encore eu lieu, et cette chose passée n’a pas encore eu lieu parce que le patient n’était pas là pour que ça ait lieu en lui. » (La crainte de l’effondrement. Paris. Gallimard. P212)Voilà peut-être ici toute l’importance de l’intégration, de la conscientisation. Ce qui est vécu sur l’instant et n’est pas intégré ne peut faire surgir ce qui a eu lieu. Le pont entre le présent entendu et ressenti comme dans le cas de M. Little ne peut faire lieu avec ce qui s’attache dans l’inconscient du patient.
« La situation analytique est donc à utiliser comme lieu où vivre les défaillances de l’environnement ». Les erreurs de l’analyste, nous dit C. Thompson sont autant d’expériences vécues pour le patient limite comme une potentialité, dit-elle. Winnicott a soutenu l’idée que le but du cadre analytique est d’accueillir la folie du patient limite afin qu’il atteigne sa remémoration. Mais, nous dit C. Thompson « ce qui est venu ne peut prendre sens par rapport à ce qui a été vécu, restant isolé dans un présent qui ne peut s’élaborer ou s’inscrire dans une historicité. » Caroline Thompson conclut que dans le cas de patients limites ce qui prédomine est la relation analyste-patient. Celle-ci doit favoriser la régression pour que l’investissement puisse pleinement se faire.
Alain Giraud