Fiche de lecture qui se réfère au texte « Ce qui découle du fait que ce n’est pas la femme qui a tué le père » (1928) dans le livre « L’AMOUR DU NARCISSISME » aux éditions Gallimard regroupant des textes publiés de 1931 à 1933 écrits par Lou Andréas-Salomé dans Imago et l’Almanach der Psychoanalyse.
Lou Andreas-Salomé fait un plaidoyer en faveur de la femme pour mettre à sa juste mesure la place du masculin et féminin dans la société de l’entre-deux-guerres qui voit se perpétuer la splendeur du patriarcat. Elle valorise la féminité et la maternité dans un monde masculin qui tend à l’oublier. Ici, il y a quelque chose d’un aujourd’hui par lequel elle nous dit que l’extrémisme de la confrontation ne peut en rien réunir les sexes, mais que l’acceptation de la différence permet à chacun de s’unir dans une pensée équitable où chacun peut reconnaître la fonction de l’autre dans une différence qui se ressemble.
La pensée infantile masculine perpétue le meurtre du père de par son lien entretenu avec la mère. Parce que la mère n’a pas la même signification pour la fille alors elle n’est pas dans le même registre nous dit Andreas Lou- Salomé. Par contre pour les deux sexes elle est le sein. Mais le repentir émerge car il reste « le père de la tribu le maître de son monde » (P189). Elle pose la question de la soumission « qui érige le père en juge, en maître de la grâce, de plus en plus divinisé, et où l’obéissance devient de plus en plus adoration » L’auteur rappelle que la divination est la surestimation dont elle parle dans les investissements d’objets. Si à la naissance l’indifférenciation entre un moi archaïque et le monde existe c’est en grandissant qu’un pont se fera entre les deux. Le nourrisson conservera dans ses sensations, son corporel, comme premières pensées, ce trait « d’union qui nous conserve durant toute la vie une justification narcissique » qui fait « la somme de tout » mais qui reste, pour l’auteur en 1928, un jugement faussé. Faussé parce que la « faute » qui implique le repentir fait venir à la conscience l’absence de sa propre image dans l’image de l’autre (le père) ce qui implique la négation du « tout » phantasmé. On peut identifier la difficulté de l’enfant masculin à vouloir éliminer le père tout en le préservant comme source d’une image qui devient alors une évaluation narcissique dans le devenir de l’enfant et dont il ne peut se séparer au risque de ne plus pouvoir se comparer : « le désir infantile devient l’action virile dans la vie » (P191)
Pour Lou Andreas-Salomé « le sexe féminin n’est que peu concerné par ce renoncement à la position horizontale narcissique agissant comme la plus forte stimulation dans une ascension soumise à des valeurs. » (P192). Il est intéressant de comprendre que pour l’auteur la surestimation de la fille vers le père poursuit son chemin sans jamais s’en délier mais au contraire le considérant avec admiration comme son créateur. L’auteur poursuit en signifiant qu’alors le masculin est érigé avec un sens intuitif de la rigueur morale et de l’ordre légal alors que la femme a un avantage ici sur l’homme,…, l’avantage d’une sorte de prosaïsme : c’est qu’elle place ailleurs sa légalité et son ordre » (P192). Ne pas oublier que l’auteur écrit en 1928 et que le temps a changé les mesures. Selon elle c’est parce que l’homme est orienté vers l’action avec son sens impératif qu’il est « celui qui s’incline, qui s’offre et se sacrifie » (P193). Elle poursuit en reconnaissant que ce qui fait la différence en apparence alors les réunit aux frontières de l’un et de l’autre, se dépassant l’un et l’autre vers un ultime.
A la frontière des ressemblances, par des actions qui les différencient, Lou Andrés-Salomé érige la femme dans la société patriarcale de cette époque de l’entre-deux-guerres. C’est dit-elle, « dans la maternité qui permet à la femme de vivre dans son milieu le plus féminin jusqu’au bout de telle sorte qu’en créant à partir d’elle un nouveau cercle de vie, elle semble s’approcher d’une action de nature masculine : engendrer, nourrir, protéger, guider. » C’est cette ressemblance qui pour elle a fait naître la jalousie dont il s’est défendu en la positionnant dans le devoir d’une épouse digne. Mais la rébellion face à ce désir masculin de soumettre a fait renaître « l’envie du pénis » qui « dans l’ambition révolutionnaire et dans la culpabilité, l’aliènent d’elle-même : bref, elle commence à tuer le père. » (P194)
Lou Andréas-Salomé croit à quelque chose qui pourra se réunir même dans l’adversité des singularités de chacun, où les vertus viriles et communes de guider, de protéger, de créer, pourront s’élargir et se rejoindre. Elle souligne que face à l’adversité masculine « la femme doit reconnaître dans l’homme < i > l’enfant du père » (P195) Et c’est ainsi conclut-elle que l’homme et la femme se reconnaîtront dans leur attachement au père, acte, dit-elle, « presque incestueux ».
Alain Giraud (Ce texte n’engage que la réflexion de l’auteur du site )