Cette expression est un empire à elle toute seule. Je dirai qu’il n’y a pas plus difficile à réaliser que ce qui est énoncé comme une évidence ! C’est pour cette raison que je tente de situer ce processus individuel pour expliquer la difficulté du « lâcher prise » qui me semble une expression galvaudée.
Comment se défaire d’une partie qui fait le sujet, qui est soi ? Comment s’envisager sans se retenir à ce que le sujet à l’habitude de vivre, d’être ? Comment accepter de s’imaginer choir dans son abîme ? Si le lâcher prise existe c’est que la résistance existe. Mais alors pourquoi et à quoi résister ? En 1939 Freud suggérait que Les mécanismes de défense contre des dangers anciens font retour dans la cure sous forme de résistances à la guérison, et cela parce que la guérison est elle-même considérée par le moi comme un nouveau danger » « (Analyse terminée et analyse interminable / Sigmund FREUD in Revue française de psychanalyse, vol. 11, n° 1 -1939) Tous ceux qui ont eu l’expérience des séances analytique peuvent accepter cette suggestion car l’évidence est que le sujet se confronte en cure au dévoilement de ses résistances pour laisser place à un nouveau regard sur sa vie et la réalité.S’il s’agit de plaisir que nous pouvons anticiper la résistance sera présente si les valeurs, la morale, l’éducation du sujet se trouve en conflit avec le plaisir à atteindre. La résistance empêche et se défend du principe de réalité trop difficile à assumer psychiquement pour le sujet qui ne supporte pas la représentation subjective de la réalité qu’il s’est construite.
La résistance serait ce qui mènerait au refoulement puisqu’un élément de la réalité serait apparu insupportable à vivre de même qu’elle empêcherait le retour de ce qui a été refoulé pour ne pas risquer de revivre ce qui a été ressenti comme insupportable. La résistance deviendrait alors une frontière entre le supportable et l’insupportable. Si « Nul être humain ne peut se séparer de la tension créée par la réalité interne et la réalité externe » nous dit Winnicott, alors je pourrais dire que la résistance contre le lâcher prise pourrait protéger le sujet mais au prix d’une tension interne qui formerait un trop plein d’énergie conflictuelle dans la cavité psychique. Margareth Little dit "La crainte est un souvenir du futur" (Transfert et états limites - sous direction Jacques André et Caroline Thomson. - Éd. Puf 2002 . p, 134) c'est-à-dire que ce qui s’envisage et développe une crainte contre laquelle le sujet résiste est un souvenir de ce qui a été ressenti et refoulé et qui pourrait se reproduire si la résistance qui s’opère lâchait prise. Il s’agirait donc d’un souvenir qui a laissé des traces émotionnelles indélébiles qui restent inscrites dans l’inconscient. Voilà donc ce qui fait retenir, résister, la crainte de revivre une souffrance. Si la résistance empêche le lâcher prise c’est qu’une souffrance cachée et refoulée siège en toute impunité. S. Freud disait à son époque cette idée qui apparaît contemporaine « L’idée fixe n’est pas quelque chose d’absurde, ni d’incompréhensible, elle a un sens, elle est bien motivée, fait partie d’un événement affectif survenu dans la vie ... L’idée fixe est un fait nécessaire en tant que réaction contre un processus psychique inconscient que nous avons pu dégager d’après d’autres signes ; Et c’est précisément un lien qui la rattache à ce processus psychique inconscient qu’elle doit son caractère obsédant, sa résistance à tous les arguments fournis par la logique de la réalité » (Sigmund Freud – Introduction à la psychanalyse – Petite bibliothèque Payot - p303)
De ce que Irvin Yalom écrit « Ce devrait être le but de tout traitement : libérer cette conscience cachée, lui permettre de crier à l’aide en pleine lumière » (Irvin Yalom – Et Nietzsche a pleuré – Ed. livre de poche – p 253) alors le lâcher prise devient expression libre de soi en association libre avec soi. À ce propos Lacan nous parle de parlêtre c'est-à-dire que l’existence c’est aussi le plaisir, la jouissance du parler de l’inconscient qui, je pense, peut avoir des supports différents comme celui de la parole ( la cure analytique) , des ressentis corporelles (relaxation, chi gong..) , de la libre expression à travers l’art ( art-thérapie…). De ce qu’André Green écrit "Avoir peur de mourir c’est avoir peur de ne plus pouvoir jouir de la vie." (Green Le complexe de castration P. 147-), il peut être accepté que le sujet soit à la recherche de son plaisir qu’il confronte au principe de réalité et qui le conduit quelques fois à ressentir des frustrations, d’où cette notion de résistance à l’inconnu pou préserver son plaisir actuel : il établit un compromis à la recherche d’un consensus d’où il sortira satisfait malgré des frustrations résiduelles. Cela nécessite la bienveillance extérieure qui permet l’expression de soi, sans avoir la crainte de choir dans l’illusion d’un abîme mortifère. « Cette tension peut être soulagée par une aire intermédiaire d'expérience. Cette aire de jeu est en relation directe avec l'enfant perdu dans son jeu » (Winnicott – Jeu et réalité P. 45) cela évoque la crainte du sujet de se perdre dans l’inconnu de soi à la découverte de ses résistances et le besoin d’être soutenu, accompagné par un cadre de bienveillance, ce qui vient à dire que Le lâcher prise peut s’exprimer dans un cadre.
Le lâcher prise aux résistances est à mon avis une démarche qui doit être encadrée et ne peut être effectué seul parce que nous sommes absolument en capacité de produire de nouvelles résistances qui nous feront croire que nous sommes arrivés au terme de nos résistances. Alors de ce fait, la question du lâcher prise pourrait également se poser de la façon suivante : jusqu’où le sujet est-il prêt à aller pour se libérer de ses résistances, de ses tensions, de ses somatisations ? C’est dans ce sens où je pense que le lâcher prise doit être fait avec parcimonie, par dose homéopathique. Il s’agit à mon avis d’un processus de deuil psychique, c'est-à-dire sur le long terme. Il s’agit bien de se séparer d’une partie de ce qui fait le sujet. La reconnaissance de toute la difficulté du lâcher prise est bien dans ce processus. Margareth Little dit "On ne peut pas créer un tableau sans détruire la toile blanche et les tubes de peinture, car il n'y a rien qui ne vit sans que quelque chose ne meure et rien qui ne meurt sans que quelque chose ne vive" (Transfert et états limites - sous direction Jacques André et Caroline Thomson. - Éd. Puf 2002 . p,142 Thomson 1924)