Ce texte n’engage que la réflexion de l’auteur de ce site présentant une fiche de lecture qui se réfère au texte « D’un premier culte » (1913) dans le livre « L’AMOUR DU NARCISSISME » aux éditions Gallimard regroupant des textes publiés de 1931 à 1933 écrits par Lou Andréas-Salomé dans Imago et l’Almanach der Psychoanalyse.
Lou Andreas Salomé identifie la toute-puissance de l’enfant comme ce qui serait la nécessité de se retrouver entier dans une double tendance avec le monde interne imaginaire, phantasmatique et le monde environnant représentant du système de la diversité « où la moindre parcelle de celle-ci tient lieu de tout, gouvernant et régnant sur le miracle entier de la vie. » (p48). Elle décrit le monde interne imaginaire, phantasmatique avec « toutes ces vice-mamans et tous ces vice-papas. » (p49) qui sont « unis à l’enfant par une même nature et en même temps supérieurs à l’inconnu du dehors, donc capable de tout miracle ». L’enfant ne peut s’unir à l’extérieur que par la puissance fantasmatique qu’il attribue au parent. Il a besoin de s’identifier pour rencontrer le dehors. Ainsi la toute-puissance momentanée de l’enfant, son moi-idéal, qui sera confronté à l’œdipe et circonscrit à l’espace dédié par les parents, va confronter le sujet enfant à ne pas franchir les frontières délimitées par la loi parentale. Comment ne pas penser à la toute-puissance et à l’identification comme moyen de rencontrer le dehors ? Je pense à l’adolescence à cette confrontation qui s’installe face au Surmoi sociétal et emprunt du Surmoi parental pour que le sujet adolescent forme à son tour son propre Surmoi à partir aussi de ses expériences. Lou Andréas Poursuit « l’intérieur et l’extérieur ne peuvent se rassembler en une unité que dans la toute-puissance et l’amour des parents » sans doute faut-il réfléchir cette idée du bonheur qu’elle prête à l’enfant comme une idée miraculeuse et éphémère qui va se heurter aux limites de la loi mais qui va construire les capacités de l’enfant à se construire narcissiquement à la fois dans la toute-puissance et aussi dans l’attention toute particulière des parents qui offriront non seulement leur rassurance mais aussi leur protection.
(p50), Lou Andréas-Salomé parle d’identification des parents au bonheur de l’enfant, s’agit-il d’identification ou de satisfaction à constater le bonheur de l’enfant dont ils se sentent les producteurs. L’identification à la capacité de créer le bonheur de l’enfant et conduit le parent à s’identifier à une image toute puissante en capacité bienveillante de produire un affect chez l’enfant. L’identification du parent renvoie celui-ci à sa propre satisfaction de se constater producteur de bien-être dans le miroir qu’est l’enfant. N’est-ce pas dans ce cas la recherche de satisfaction du désir de l’enfant qui renvoie à la propre satisfaction narcissique du parent d’être en capacité de produire du plaisir.
Lou Andréas-Salomé pose la question de l’apparition et de l’influence de Dieu dans l’éducation de l’enfant. Elle s’interroge sur l’idée de la religion, en tant qu’imposé, elle est devenue un besoin dans l’imaginaire de l’enfant jusqu’à en créer une représentation. Ici deux choses le besoin d’un tiers imaginaire et celui de sa représentation. Il est intéressant de constater que la représentation qu’elle en fait se rapproche de l’idée du sacré, divinisé dit-elle, parce qu’imaginaire. Elle décrit l’omniprésence de sa représentation comme supérieur à celle de ses parents au point qu’elle devient, dit-elle, « un Dieu de l’opposition » aux injonctions parentales mais aussi réparateur d’avoir permis le châtiment. La représentation de sa croyance en Dieu est à la fois une alliée qui légitimise le châtiment injustifié et injuste tout en pardonnant au parent de lui avoir infligé ce châtiment, c’est aussi un refuge qui l’empêchait de connaître en elle-même sa faille et son conflit recouvert par le discours religieux.
(p51) Alors qu’elle est enfant, elle compare Dieu à un grand père qui veille et qui exauce les désirs de l’enfant pourtant (p52) un paradoxe existe, ce dieu est à la fois partie prenante avec l’enfant mais aussi avec le parent. Il était compatissant après chaque punition comme s’il se repentait du châtiment infligé et le compare au père qui brûla accidentellement du bout de sa cigarette son épaule : Partagé entre le pardon à ses parents et la culpabilité de ses actes, (p53). Il y a quelque chose du retournement contre soi légitimé par Dieu et qui étouffait ses failles et ses conflits. C’est plus tard dit-elle qu’elle devenait opposante à l’interdit et au commandé qui lui permettait de ne pas refouler dit-elle, la force de vie la plus présente (p53). L’idée de la croyance s’oppose à la réalité (p54) et c’est dans ce cas que la naïveté se lève pour laisser la place « à la menace de la révélation » et permet d’y retourner quand l’épuisement se fait ressentir. Elle dit aussi que c’est en persévérant dans cette croyance qu’on continue à faire vivre l’esprit d’enfance et bien entendu la protection divine qui écarte de la blessure du châtiment.
(p57) L’existence fantomatique de Dieu qui a pris sa place dans l’esprit de l’enfant fait surgir, au fur et à mesure de sa disparition, la personnification de la mort reflétant alors la confrontation de l’enfant à la solitude sous le joug du méchant diable en opposition à Dieu qui l’a protégé des « angoisses et des sentiments de culpabilité » (p57), ce qui est « un violent contraste ». Dans ce chapitre, elle nous montre le processus de formation des instances psychique à la fois répréhensif par rapport aux mouvements impulsifs et producteurs de croyances qui se métamorphosent au fur et à mesure que l’imaginaire de l’enfant et ses fantasmes se développent à la fois par un discours intérieur et extérieur par celui des faits et discours éducationnels. L’imaginaire dans ce cas participe à la réflexion et au développement psychique de l’enfant. On voit apparaître assez tôt un conflit psychique qui est atténué par l’intervention de la force supérieure et imaginaire de sa croyance religieuse. Le développement psychique de l’enfant conduit à sa capacité de symbolisation. La mort, c’est-à-dire la fin de la vie de celui qui a mis en place les croyances apparait. De ce fait un autre tiers prend place, fruit d’un clivage qui oppose naissance et fin de la vie. Alors que la culpabilité aurait pu s’ancrer et nourrir un retournement sur soi sans fin, il s’avère que la conscientisation que la vie a une fin crée chez elle une rébellion qui lui permet de ne pas s’enfermer dans ses angoisses et dans son sentiment de culpabilité comme si l’urgence était celle de vivre et de ne pas mourir.
(p58). Sa capacité de symbolisation lui permet transférer, dans la réalité qu’elle découvre, une parcelle de son imaginaire pour s’approprier l’environnement jusqu’alors inconnu. Lou Andréas-Salomé décortique le processus du passage du giron familial à l’environnement sociétal, qu’elle appelle la réalité. Ainsi de la représentation enfantine du tiers tout puissant qui permet d’exprimer ses désirs, arrive celle des adultes qui est raisonnée et pensée sans pour autant que la première disparaisse. Lou Andréas-Salomé dit (p60) « Dieu entre dans la vie des hommes : à savoir non seulement comme béquille et fauteuil roulant, mais comme l’explosion même de la confiance en la vie — qui ne brigue rien de moins -, comme son symbole de vie et son présage de victoire pleins d’allégresse », ainsi pourrait-on dire que le désir demeure. Elle poursuit « En réveillant ainsi la vie, il abolit pour ainsi dire sa nécessité. Ainsi ce qui survit de lui le plus divinement, c’est vraiment sa négation » c’est ainsi que le retour à soi-même se fait « ce qui signifie perte devient retour à soi-même », le manque se créé.
Lou Andréas-Salomé parle de douceur de ce « Dieu enfantin » qui persiste dans la pulsion du savoir de l’enfance à l’adulte pour comprendre que les questions d’aujourd’hui restent celle d’hier tant poser par l’enfant que par l’adulte : (p61) « La pensée comme la vie, la connaissance comme le sexe, dans leurs tendances centrifuges, se rencontrent dans cette origine commune, et la question de savoir qui nous sommes et d’où nous venons, s’éveille en nous comme le premier grand feu de la prise de conscience du fait que nous sommes »
Alain Giraud