Les événements qui marquent notre société conduisent à entendre des discours très partagés où chacun prend place selon ses convictions. Entre amour et haine, entre bon et mauvais, entre désir de construire et de détruire, entre victime et agresseur, entre bourreau et sauveur, chacun s’interroge. Faut-il se rallier au bien pensant, mais qui est-il ? Faut-il déployer son agression au détriment d’innocents ? Faut-il sacrifier l’humanisme au profit d’une forme de dictature, de l’illusion de la puissance? Ces questions s’imposent et font vivre le questionnement sur l’agressivité, la haine que nous portons en nous. Nos pulsions agressives participent à faire vivre nos pulsions de vie.
L’idée prédominante est de comprendre ce sentiment d’agressivité qui demeure en nous et que nous essayons d’atténuer, remplacer, repousser, refouler au nom d’un sentiment d’amour. Nombre de courants idéologiques promeuvent cette idée où l’amour doit primer sur l’agressivité. Cela voudrait-il dire qu’il existe en nous un sentiment qui perdure, que nous rejetons et que nous avons du mal à expliquer tant il nous effraie et nous enferme dans une image que nous ne voulons pas représenter ni présenter à notre environnement ? L’idée est de comprendre pour mieux sublimer ce sentiment et utiliser son énergie non pas au détriment de notre environnement et contre nous-mêmes, mais bien au service de celui-ci. C’est certainement vers cette sublimation que conduisent des philosophies comme le bouddhisme qui met en avant la conscience de soi et de son environnement pour ne faire qu’un. Ainsi la cause de l’agressivité est l’autre en tant que partie de soi. Il est fort intéressant de constater que nombre de mécanismes de défense permettent d’évacuer cette agressivité mais au détriment de l’autre non-soi, tels que la projection, le déplacement, l’isolation. L’autre devient alors la partie inconsciente de notre agressivité que nous rejetons. Serait-ce alors que nous produisons quotidiennement un trop plein d’agressivité pour que nous ayons besoin de l’évacuer ainsi ?
Joan Riviere nous dit que d’une façon générale, la haine est une force de destruction, de désintégration qui va dans le sens de la privation, de la mort, et que l’amour est une force d’harmonisation, d’unification, qui tend vers la vie et plaisir. Pourtant nous dit Joan Rivière, l’agressivité n’est pas obligatoirement destructrice ou douloureuse et l’amour peut être tout aussi agressif et même destructeur dans ses manifestations . Dans la 2ème topique de Freud, il existe les instances psychiques : Moi, Surmoi et Ca comme siège d’une part des pulsions de vie, d’amour, et d’autre part des pulsions destructrices, agressives, de haine. On peut comprendre la difficile cohabitation avec nous-mêmes entre ces deux formes pulsionnelles qui caractérisent l’émotionnelle de tout individu qui est également en interaction directe avec l’environnement. Pas facile. Pour corser le tout «les pulsions agressives sont étroitement associées à des sentiments de plaisir et de satisfaction et une excitation peuvent accompagner la gratification de ces pulsions. » . Dans nos agissements quotidiens professionnels ou personnels nous faisons preuve de petites manifestations : remarque cinglante, jeux vidéo de destruction du dernier Pokémon au dernier jeu de massacre, des histoires cruels, des spectacles, des films, des rejets amoureux, des énervements envers les enfants, une compétition entre collègue, au sport, les critiques, l’énervement contre ceux qui nous ont énervés ou contre l’injustice des attentats par exemple, le challenge de l’augmentation, … L’aboutissement de cela procure un plaisir issu d’une excitation incontrôlable donc bien inconsciente. L’affirmation de soi ne demande-t-elle pas une certaine agressivité, un esprit combatif ? En tout état de cause notre besoin de vivre, de survie, d’existence et de plaisir dans l’existence du vivre nous conduit à préserver agressivement avec plus ou moins d’intensité notre territoire. Bien entendu le sujet veillera sur son environnement familial et déploiera l’agressivité pour protéger l’amour qu’il lui porte. Ainsi l’amour et la haine, sont liés en étant tout deux au service de l’un et de l’autre.
Le sentiment de frustration réveille la haine, l’agressivité contre soi ou contre l’autre. Une frustration est un objectif plaisir qui est anticipé mais non satisfait et conduit à un état de déplaisir ou d’insatisfaction qui produit une tension psychique qui est refoulée par le sujet frustré. Les tensions cumulées peuvent amener le sujet à produire des agissements dépendants de ces tensions contre soi ou contre son environnement. Cela amène à convenir que nous sommes dépendants de notre plaisir et s’il n’est pas atteint, il entraînera une frustration qui conduira à l’agressivité. Économiquement nous sommes dépendants de notre milieu de vie, nous sommes influencés et formatés par l’idée d’obtenir le plaisir que notre environnement crée en réponse soit à nos besoins réels soit à de nouveaux besoins en adéquation avec ce qui est offert par notre environnement. Le plaisir d’être soi dans son environnement dépendra essentiellement de notre capacité à accepter la dépendance à celui-ci tout en vivant l’illusion d’une forme de liberté donc d’indépendance. Par conséquent Il y a confrontation entre acceptation de la dépendance et la nécessaire illusion de liberté. La révélation de l’illusion révèle l’agressivité, la haine, le combat contre toute forme de dépendance. Ce qui voudrait dire que l’agressivité est au service de notre propre illusion.
C’est peu de temps après la naissance que l’agressivité prend forme. Alors que le nourrisson ne fait qu’un avec le sein c’est par l’absence de celui-ci qu’il va créer et opérer un clivage entre d’une part un bon sein qui répondra à sa complétude et d’autre part un mauvais sein à qui il attribuera ses douleurs gastriques, ses brûlures, et ses maux de ventre. L’opération de ses ressentis le conduira peu de temps après à projeter sur le mauvais sein la responsabilité de ses souffrances. La psychanalyse nous apprend que c’est bien ce besoin d’être comblé qui va régir notre développement psychosexuel. Effectivement l’individu adulte perdure dans ces mécanismes infantiles de clivage et de projection par ses tendances à établir une frontière entre bon et mauvais et en attribuant à ce dernier la cause de ses propres souffrances, de ses frustrations ou de ses insatisfactions. « C’est ainsi que se développe notre grand besoin de sécurité contre ces risques terribles, contre ces expériences intolérables de privation, d’insécurité et d’agression à l’intérieur. C’est à partir de là que nous commençons tous- et c’est une tâche qui dure toute la vie – à essayer d’assurer notre conservation et nos plaisirs en prenant le moins possible de risques d’éveiller en nous les forces destructrices qui impliqueraient aussi la destruction des autres » .
N’est-il pas arrivé à bon nombre d’éprouver un sentiment de haine envers quelqu’un sans en expliquer réellement la raison ou par des justifications qui finalement reposent sur des faits réels que nous interprétons comme un danger pour notre sécurité ? Dans le cas contraire nous continuons notre chemin sans y prendre garde. N’est-il pas arrivé à bon nombre d’avoir vécu une journée particulièrement difficile voire agressive et d’avoir réprimé toutes réponses aussi agressives et de les déverser sur un quidam ou sur l’un de nos proches ? N’est-il pas arrivé à bon nombre de reprocher à l’autre ce que nous ressentons pour nous-mêmes ? N’est-il pas arrivé à bon nombre de s’en vouloir et de s’autoflageller avant de comprendre et d’accepter par résignation ? La première réponse serait de nier ce fait pour se préserver de toute impression négative. Et pourtant, à bien réfléchir, si la notion de dépendance est acceptée, si celles de l’illusion de liberté et d’indépendance les ont tout autant alors les réalités individuelles et collectives pourraient s’en trouver mieux portantes.