Fiche lecture " LA HAINE, LE DESIR DE POSSESSION ET L’AGRESSIVITE" - Joan RIVIERE – 1ère Edition Payot 1968- Edition PBP 2001"
Joan RIVIERE, née le 28 juin 1883 à Brighton et morte à Londres le 20 mai 1962, est psychanalyste, traductrice de Freud. Dans cette conférence qu’elle présenta en 1936, elle tente d’explorer une liste non exhaustive de formes d’agressivité de la naissance à l’âge adulte et montre que la réaction agressive adulte répond au manque du nourrisson. Il est a remarqué que Joan RIVIERE fait, sans l’énoncer, référence au 6 premiers mois de la vie et à l’élaboration des mécanismes archaïques de défense inconscient du moi sur lesquels les mécanismes adultes s’élaborent.
« Notre vie est au service d’un objectif double : s’assurer les moyens de vivre et, en même temps, tirer du plaisir de cette existence. » (P15). Elle nous conduit rapidement vers les pulsions de vie et de mort entre amour et haine qui font partis de chaque individu de la naissance à la mort et dont l’objectif est « de vivre et de vivre agréablement ». Elle pose la question de la gestion des pulsions et tente d’expliquer que l’une et l’autre sont en lien, intriquées, et participent à l’évolution de chacune d’entre elles en vue d’atteindre l’objectif plaisir. La frustration ou la privation, qui réduirait l’atteinte de l’objectif plaisir de départ, déclencherait une réaction d’agressivité voire d’attaque.
Aux premiers mois de la naissance Joan Rivière décrit le trouble mortifère du nourrisson ne faisant qu’un avec la figure maternelle dont il est à la fois dépendant, dans le désir, et dans la peur : « Cette expérience permet une prise de conscience de l’amour (sous la forme du désir) et une reconnaissance de la dépendance (sous la forme du besoin) en même temps qu’elle s’accompagne, inextricablement liés à elle, de sentiments et de sensations irrésistibles de douleur et de menaces de destruction à l’intérieur et à l’extérieur.» (P24) Entre plaisir et souffrances organiques le nourrisson est balloté de l’un à l’autre : « C’est ainsi que se développe notre grand besoin de sécurité contre ces risques, contre ces expériences intolérables de privation, d’insécurité et d’agression à l’intérieur. » (P24) Voilà donc l’expérience archaïque effroyable qui révèle chez chaque individu ce sentiment d’agressivité auquel il se sent lié inconsciemment pour maîtriser son désir et son besoin.
Puisque cette production archaïque est refoulée, donc inconsciente, alors notre moi, notre personnalité, va produire des mécanismes de défense inconscients qui vont venir assurer la préservation de ce que chaque individu maîtrise inconsciemment de ce qu’il reste inscrit de son désir et de son besoin de protéger ce qu’il aime et dont il a été dépendant. Réactions inconscientes direz-vous ? Et bien oui et c’est ce que Joan Rivière dit de la psychanalyse : l’étude des motivations inconscientes de la personne.
Joan RIVIERE décrit la Projection comme premier mécanisme de défense mis en place par le nourrisson. Notons que son ontogénèse fait apparaître que la formation de la projection est issue du processus de formation de différents mécanismes :
• Tout d’abord, le Déni de l’agressivité ressenti par le nourrisson comme douleur qui ne provient pas de lui, il n’en est pas l’acteur.
• Ensuite, le Clivage en deux objets ressentis l’un comme bon et l’autre comme mauvais ce dernier étant symbolisé comme l’agresseur vers lequel sera projetée à l’étape suivante l’agressivité intérieure.
• Puis la projection de l’agressivité sur le mauvais objet comme justifiant l’attaque de l’agresseur extérieur qui est la cause du mal en soi.
• Et enfin, le déplacement vers un autre mauvais objet sur lequel sera transférée l’agressivité insoutenable pour ne pas détruire le premier objet qui pourrait être également celui qui ne peut être éliminé puisqu’il serait également celui qui donne de l’amour.
Tout cela pour préserver l’objet aimé dont l’individu dépend (inconsciemment et archaïquement) qui lui a amené amour et plaisir, dont il a été obligé de se séparer au sevrage psychique. La nature est bien faite puisque toute cette formation des mécanismes va participer à favoriser le passage du sevrage à l’âge approximatif du nourrisson de 8 ou 9 mois. Rappelons qu’il ne s’agit pas de conscience chez le nourrisson mais de sensations qui sont elles-mêmes à la base de la formation de la pensée.
Joan RIVIERE aborde à propos de ce mécanisme le processus d’équilibre ce qui est appelé l’économie de l’énergie psychique en prenant en compte l’intensité pulsionnelle tant en terme d’agressivité qu’en terme d’affectivité. Il a été compris que l’un est au service de l’autre et vice et versa. Néanmoins un déséquilibre pulsionnel conduirait à un excès qui produirait un dérèglement du processus psychique. Joan RIVIERE nous dit que la pulsion agressive à deux orientations l’une vers l’extérieur menée par son besoin de décharge et l'autre vers l’intérieur en termes de répression qui viendrait réguler les flux émotionnels de l’individu qu’ils soient d’amour ou de haine afin de trouver un équilibre certain.
Le terme de rejet est à comprendre tant du point de vue du développement comportemental sain ou presque que de son point de vue pathologique : < br > Le premier est à rapprocher du terme de détachement du lien de dépendance qui conduira l’enfant à chercher un autre objet de plaisir que la mère. Cette évolution, nous dit Joan RIVIERE, prend le temps du développement psychosexuel de l’enfant jusqu’à l’âge adulte. < br > La seconde forme de détachement est davantage pathologique puisqu’elle correspond à un détachement brutal qui conduirait à plonger le nourrisson dans une humeur mélancolique dû à l’absence de la mère provoquée trop brusquement. Elle souligne que cela peut engager vers la dévalorisation (faille narcissique) et un retrait de toute occasion d’aimer ou d’être aimé qui peut s’entendre par la crainte d’être rejeté. Deux cas de figure dans la décision de l’individu : l’une conduisant à une forme de résilience et d’acceptation de la situation ; l’autre une forme rancunière avec surcharge de l’intensité pulsionnelle agressive visant à la vengeance et transparaissant dans les relations quotidiennes.
Il est intéressant de comprendre que la dévalorisation et le mépris sont des mécanismes qui visent à se préserver inconsciemment de la douloureuse absence de l’objet qui a été source de plaisir, il s’agit d’un détachement brutal de la figure maternelle. L’idée de l’individu est de se détourner du risque de la dépendance à l’objet absent pour se protéger de toute forme de déplaisir. Deux orientations pulsionnelles sont signalées : l’une intérieure, la dévalorisation, visant à maîtriser tout ce qui peut être de l’ordre du plaisir par « sentiment de vengeance ce qui permettra de se passer de l’objet désiré » (P38) et l’autre vers l’extérieur, le mépris, qui a pour objectif de se refuser d’aimer l’objet aimé en le dépréciant à ses propres yeux.
« Le rejet peut être une façon d’aimer » ,nous dit Joan RIVIERE, mais dont l’individu ne pourrait se sentir la capacité de l’accepter pour lui. Le « retrait de soi » devient l’idée sacrifice de soi pour le don à l’autre et peut conduire vers l’annulation de soi voire effectuer l’inversement du mécanisme de projection en le retournant vers soi. Cette façon de s’annuler par amour pour l’objet absent peut dans certains cas conduire au suicide nous relate l’auteur.
De l’envie Joan RIVIERE parle d’absorption en référence au nourrisson qui absorbe pour apaiser son organisme et s’écarter de tout danger extérieur. Elle rapproche ce mécanisme d’absorption, de ramener à soi, à celui d’introjection, introjecter le bon objet pour se défendre d’un extérieur dangereux, protéger l’objet lui-même. La projection devient celui qui est rejeté de son intérieur comme le danger. L’idée de l’introjection, de prendre en soi, et de rejeter ce qui en est ressenti comme un danger qui, pour en garder la protection, devient un processus de thésaurisation, nous dit-elle, pour préserver d’une « désintégration interne ».
L’auteur étaye l’idée de la voracité par celle de l’absorption de ce qui est bon tout en rappelant que ce qui est bon renvoie l’image d’être bon. C’est aussi se protéger par le bien-être de ce qui vient de l’extérieur tout en rejetant par la projection ce qui est de l’ordre de l’insoutenable agressivité intérieure. «… la voracité persiste tout au cours de la vie. Sa nature même fait qu’elle n’a pas de limites et qu’elle n’est jamais soulagée. Étant donné qu’elle est une expression de la pulsion de vie, elle ne cesse qu’avec la mort » (P47). Elle poursuit en rajoutant que l’idée du bon absorbé rempli le vide et oppose à cela la privation de ce qui est bon par la dangerosité du vide intérieur : ne pas être rempli du bon. Le désir de posséder pour se protéger intérieurement par le bon est entravé et déclenche le mécanisme de la pulsion agressive sous la forme de jalousie envers ce qui est possédé par l’autre qui devient meilleur que soi.
De l’idée de jalousie parce que dépossédé de ce que l’autre a de meilleur renvoie à l’idée de ne pas être à la hauteur d’être assez bon. La projection est en place et l’autre devient le mauvais objet qui vole ce qui aurait pu être obtenu pour soi afin d’être meilleur. A une forte intensité l’auteur nous signale la folie paranoïaque, c’est-à-dire l’idée de l’impuissance et de l’agression par tout ce qui devient agresseur.
Le cercle vicieux de la jalousie à forte intensité pousse l’individu à déclarer son impuissance et sa non-culpabilité à désirer ou posséder ce qui pourrait être bon pour lui, « les personnes jalouses qui passent autant de temps et dépensent autant d’énergie à se sentir privées et frustrées par la vie, n’ont plus la possibilité d’en jouir directement.» (P51) Néanmoins la jouissance inconsciente passe par la victimisation.
« L’esprit de compétition et, d’une façon plus générale, la rivalité proviennent de l’interaction de plusieurs sources : instinct de conservation, instinct sexuel, agressivité » (P60). Tout n’est qu’affaire d’intensité. La rivalité constante est une défense contre la crainte d’être le mauvais objet, d’être seul et de mourir. A une intensité moindre, la rivalité peut se décrire chez certains comme le besoin d’être entouré de ceux qu’ils pensent être inférieurs à eux afin de nourrir en retour leur besoin d’estime et d’amour. On remarque que dans un cas comme dans l’autre l’idée réside dans la puissance qui a besoin de s’affirmer par le désir d’omnipotence. Il décrit le besoin de sécurité intérieure contre toute forme de dépendance ou d’anéantissement. Pour vérifier la sécurité, l’une des formes est de se mettre en danger pour tester son pouvoir de le fuir. L’idée est l’attente de la persécution par les gens aimés, nous dit Joan RIVIERE. Cette recherche peut engendrer des destins très différents jusqu’au despotisme.
La jalousie amoureuse ou la rivalité amoureuse. Joan RIVIERE enrichit l’explication œdipienne, qui justifierait la rivalité amoureuse, en considérant les caractères d’humiliation, de dévalorisation qui s’estompent momentanément lorsque l’agressivité de la jalousie est mise en exergue. Le manque d’amour ressenti par le sujet le conduit à une forme de pensée inconsciente emprunte de culpabilité guidée par l’idée qu’en tant qu’être non aimable alors la haine est en lui ou elle. L’expression de l’agressivité vers le rival reste une solution pour éliminer le sentiment morbide que contient l’individu jaloux, c’est ainsi que comme dans l’enfance la projection de ce qui est agressif en soi est éliminée vers l’autre. Dans ce mouvement continuel décrit par Joan RIVIERE elle dit en parlant du monde extérieur « Nous en avons besoin pour deux raisons : l’une est évidemment d’obtenir d’eux des satisfactions à la fois pour nos besoins de conservations et de plaisir, l’autre pour les haïr, afin de pouvoir expulser en dehors de nous et décharger sur eux ce qui est dangereux et mauvais en nous. » (P69)
L’objectif de l’individu est de préserver en soi un équilibre plaisir par la gestion des pulsions entre « l’égoïsme et l’altruisme, entre la haine et l’amour » (P74). Alors que la haine comme l’amour, que l’égoïsme comme l’altruisme, que la bienveillance comme l’agressivité est nécessaire l’un à l’autre, la société sous la gouverne religieuse a eu pour objectif de nier, de châtier, les pulsions morbides au profit des pulsions de vie, de bannir les pulsions sexuelles. Ainsi, nous dit l’auteur l’agressivité ne pouvait pas s’exprimer pour l’obtention de ses moyens d’existence sans la sexualité dont le but est la conservation de l’espècel’homme cesserait d’exister. » (P76)
C’est au moment de la Renaissance, nous dit Joan RIVIERE, que l’agressivité de l’Homme au service du modernisme conduisant ver un mieux vivre peu enfin s’exprimer librement « pour la science et la découverte de la nature » mais néanmoins sans se préoccuper de la vie affective. Ainsi l’auteur nous avertit que dominait le bien-être matériel au détriment du bien-être intérieur celui du besoin d’aimer qui annule l’angoisse provoquer par la haine intérieure, la culpabilité qu’elle engendre étayée par la morale, ne peut s’épanouir sous le poids du bien-être matériel. Il est intéressant de noter que le bien-être matériel vient déformer, pervertir les besoins affectifs initiaux. « C’est pourquoi sont saisies les satisfactions externes alors qu’est abandonné le combat plus difficile pour la paix de l’esprit. » (P80)
Alain Giraud