En 1968 Stephen Karpman, disciple de la pensée d’Eric Berne, a mis au point un outil simple et très intéressant mettant en évidence une mise en scène typique et très courante des actions de la communication interpersonnelle. Cet outil s’appelle « Le triangle dramatique » mais également « triangle de Karpman » du nom de son inventeur. Aujourd’hui, il est fréquemment utilisé dans la gestion de conflit pour éclairer la pensée de celui qui supporte la situation conflictuelle ou celui qui doit la gérer comme le manager, l’éducateur, le parent, etc…. Pour vous le décrire, les trois sommets du triangle représentent chacun un des trois états de la personnalité dans une action de communication sans distanciation : la victime – Le persécuteur - Le sauveur. L’idée de Stephen Karpman a été de mieux comprendre les tenants et les aboutissants des éléments de la situation de communication pour réussir à mettre en évidences les interstices et trouver une solution ou une issue qui conviendrait mieux à celui qui s’en plaint.
Le Triangle repose sur sa pointe et quelques fois déséquilibré par des situations de la vie, il oscille à droite puis à gauche. Alors que les états restent fixent sur les schémas le sujet oscille à droite et à gauche et passe allègrement d’un état de persécuteur à un état de victime ou à un état de sauveur et ainsi de suite. De ce fait si le triangle bouge les états restent inscrit et à leurplace. Cette figure nous montre que dans toutes nos communications et à notre insu nous pouvons être ces trois rôles. Cela peut être dans la même conversation, dans la même journée, dans le même mois, ou plus long sur une année, peut-être par période, par saison, etc. : les mots changent, les pensées oscillent, l’attitude est différente, le comportement du corps également, la voix se modifie sensiblement, le regard dévoile nos sentiments, etc.… Tout cela à l’insu de celui qui exécute ces différents registres. Oui bien entendu on ne s’en rend pas compte.
Bertrand qui a 30 ans se plaint toujours à sa maman Lucile de sa condition de vie qu’il qualifie de médiocre parce qu’il ne gagne pas autant d’argent que son frère René : Bertrand est victime de la vie ou de René. Le sauveur est la mère qui reçoit le discours de son fils et qui va faire en sorte de consoler ce grand enfant de 30 ans qui a besoin qu’on prenne soin de lui (entendons-nous bien, il n’y a pas de jugement dans ce qui est décrit ci-avant). S’il y a plainte c’est qu’il y a une faille, un manque, nous en reparlerons ultérieurement. Donc Bertrand, malgré son âge, a besoin de la consolation de sa maman. C’est une manière de réclamer à Lucile sa fonction maternelle et on pourrait suggérer que Bertrand reste bloqué sur une attente de ce qu’il a eu alors qu’il était enfant et qu’il voudrait retrouver maintenant. Mais le lendemain c’est René qui se plaint à sa maman Lucile qui prête son oreille attentive aux lamentations de René. Bertrand arrive sur ce fait et dit à son frère René : « Tu ne saurais pas arrêter de toujours te plaindre ! Tu as quand même 37 ans et une bonne situation ! Alors s’il te plait va te chercher un autre lieu pour te lamenter, maman ne sait pas faire que ça ! » Ici retournement de situation, Bertrand devient le persécuteur de René en l’empêchant de se lamenter et tente d’être le sauveur de Lucile, également, il glisse le petit pic qui dévoile sa jalousie concernant la situation professionnelle de René, il se place donc mine de rien en victime. René se rebelle contre Bertrand et tous deux se chamaillent à propos de leur enjeu qui est « la maman ». Lucile, quant à elle, se met à crier fort en disant : « Ce n’est pas un peu fini ! Vous ne savez pas vous conduire en adulte un peu ! On dirait deux enfants qui se chamaillent pour un jouet ! Rentrez dans vos maisons ! Vous reviendrez quand vous serez réconciliés ! Nous pourrions dire que Lucile est l’objet de toutes les attentions des deux fils et que ce n’est pas Lucile en tant que personne ou mère qui est en jeu mais bien l’amour qui est réclamé par les deux frères. Ici Lucile joue le rôle d’arbitre qui vient sauver la situation en devenant le persécuteur de chacun qu’elle rend à la place de victime. Elle reconduit chaque enfant dans sa chambre ! Lucile répond à la demande en étant impartial. La situation nous montre bien que les deux frères et la mère sont inconscients du jeu qui se déroule et qu’une faille, un manque d’amour, une jalousie d’enfant se scénarise dans la vie d’adulte. Tout cela vous aide à comprendre qu’en peu de temps Bertrand René et Lucile ont joué avec les interlocuteurs et à leur insu, les trois états : victime persécuteur et sauveur.
Ici c’est le conflit avec soi même. Ce pourrait être le « je dois » mais « j’ai pas envie ». C’est le « Il faut » avec le « Je n’ai pas le temps » c’est encore le « oui, mais » ou le « moi, je ». Ce pourrait être aussi le tourment, l’hésitation, le doute, l’impossibilité de prendre une décision, de se lancer. Des sentiments de peur, puis de colère contre soi, de révolte même à se dénigrer presque. Comme si le sujet était dans l’impossibilité de sortir de son questionnement, de son problème. C’est cela le conflit interne, autrement dit le conflit avec soi-même. C’est ne pas trouver de porte de sortie sur certains sujets. Ca énerve ! Ca désespère ! Ca mélancolise ! Ca victimise !
Julie est une jeune femme de 30 ans d’apparence très sociable. A son premier rendez-vous elle raconte sa relation avec son compagnon Jules du même âge : « J’l’aime, dit-elle, mais en même temps j’n’ai plus de plaisir à faire l’amour avec lui, j’ai un manque à jouir ! Et j’m’en veux car il n’y est pour rien là dedans! De c’fait, dit-elle, Jules se désintéresse de moi, et il a raison. Il me dénigre en disant que j’n’ai plus de désir pour lui, que j’ n’ai plus de désir pour moi ! Il est quelques fois autoritaire quand il me fait du chantage à propos d’une robe que j’voudrais bien porter pour une soirée en guinguette et que lui n’veut pas. Il m’explique l’indécence et la gêne que cela pourrait représenter aux yeux des autres convives. Pourtant je suis surpris de son attention lorsque j’suis pas bien, que j’n’aie pas le moral. Il me console, il m’écoute, il a de la tendresse pour ma personne. Bon c’est vrai en même temps il ne faut pas que cela dure trop longtemps sinon il envoie tout balader et il s’met en colère contre lui-même ! Dans ce cas j’le prends dans mes bras et j’lui caresse les cheveux, et lui il ronronne, dit-elle avec un sourire. J’l’aime dit-elle, mais j’ne comprends pas mon manque à jouir, à faire l’amour avec lui ! » Dans cette situation Julie est en proie à elle-même, elle se sent à la fois son propre persécuteur en se rendant responsable d’une situation qu’elle aimerait différente, elle se dévoile également comme sa propre victime et persécuteur à travers les mots qu’elle prête à son compagnon quand elle dit qu’elle n’a plus de désir pour elle-même. Elle est aussi son propre sauveur de ce qu’elle se rend coupable d’installer comme relation entre elle-même et jules quand il ronronne. Le ronronnement d’ailleurs est synonyme de jouissance et ce n’est pas de jules qu’elle prend soin mais bien de sa propre plainte en tant que victime de son manque de plaisir à pouvoir atteindre sa jouissance, elle entretien son manque de plaisir.
Nous avons vu à travers ces deux exemples que le triangle de Karpman ou autrement dit le triangle dramatique (action dans l’action) permet d’identifier la place de chacun dans ce qui est appelé les scénarios individuels, que ce soit seul ou avec l’autre. Nous voilà bien, direz-vous ! Mais à quoi cela sert-il ? Et bien cela met en évidence que le sujet tant qu’il reste enfermé dans ses propres scénarios, ses propres situations, va reproduire éternellement les mêmes jeux sans pouvoir pour autant en sortir, malgré une certaine souffrance qu’il pourra exprimer et c’est bien pour cette raison que le jeu n’est pas ludique. Le « jeu dramatique » est bien le « je souffrant », excusez ma digression.
En d’autres termes c’est en prenant conscience de la situation, en identifiant les rôles inter-changeants de chacun, et en prenant de la distance pour examiner les solutions possibles, que toute personne sera en capacité de sortir d’une situation enfermante qui la fait souffrir. Intéressant quand même ! En d’autres termes ; on arrête de se plaindre, de souffrir en silence et on réfléchit ! Quelques fois ce n’est pas si facile et je le reconnais. C’est pour cette raison que le Thérapeute ou le Psychothérapeute, ou le Psychanalyste ou encore le Psychopraticien, est aussi dans cette fonction d’accompagnement à aider le sujet à conscientiser ses scenarios pour l’amener à se défaire, ce fameux « lâcher prise ». Alors oui, on pourrait dire que le triangle de Karpman aide au « lâcher prise » !
Sentiment intérieur : Le sujet se sent inférieur, blessé, en incapacité à réaliser, à la merci de l’autre, inférieur dans la relation, se sent harcelé. A besoin de l’autre, d’être aidé, d’être sauvé. Le sujet est perdu dans le monde des grands, il ressent le regard de l’autre comme une possible agression.
Mode relationnel : Le sujet est émotionnel, sur la plainte de soi. Son désaccord prend la forme d’une plainte, d’une meurtrissure, d’une souffrance. Il peut se soumettre sans crier gare. Il recherche le persécuteur pour s’en plaindre ou s’en protéger, il recherche le sauveur pour être protéger.
Attitude : Le sujet est soumis, sans aucune directivité. C’est un suiveur.
Sentiment intérieur : Le sujet défend « la veuve et l’orphelin ». Sauver l’autre est une de ses priorités, une opportunité pour mettre en avant ses valeurs et monter sur les barricades ! Mode relationnel : le sujet rend parti pour l’autre, conseil, fait à la place de l’autre, prend soin de l’autre . Se met à la place de l’autre sans pour autant faire preuve d’empathie réelle. Combat le persécuteur et console la victime Attitude : Le sujet est semi-directif et directif, combatif, il protège, défend, s’interpose, sauve.
Sentiment intérieur : compétitif. Mode relationnel : Le sujet est sur l’objection, l’injonction, l’ordre. Il impose son point de vue, son désir, son envie, sa façon de gérer, au détriment des autres. Il considère le sauveur et la victime comme des personnalités faibles. attitude : Le sujet est directif, exigeant, intransigeant, poussée à l’extrême il peut devenir harceleur.
Celui qui constate qu’il joue l’un des 3 rôles peut choisir d’en sortir en adoptant une méthode de résolution dans sa relation aux autres : -> Attitude d’analyse, distancée, réfléchie
Cette explication des transactions dans la communication interpersonnelle selon Stephen Karpman permet de prendre conscience de ses interactions tant chez soi que chez son interlocuteur ou dans ses relations en général. Néanmoins, l’auto-analyse a ses limites, d'autant plus qu'il existe une multitude de transactions. L’œil avisé extérieur d’un thérapeute peut vous aider à mieux identifier les transactions dans lesquelles vous êtes et vous aider à mieux comprendre votre fonctionnement afin de vous accompagner vers une résolution et un mieux être.