Nous avons tous un souvenir de la peur. Il existe une sensation, puis une émotion qui offre ensuite un sentiment désagréable voir insoutenable. Et si la peur était une alliée…mais en quoi cette émotion serait-elle une alliée puisqu’elle déstabilise ? Il s’agit de tenter de comprendre la peur sous l’aspect intérieur, et de son interaction avec l’extérieur. La peur est un avertisseur comme un feu tricolore qui passe à l’orange et prévient d’un danger potentiel, nous sommes au volant et conduisons notre existence sur les chemins de la vie.
La peur d’échouer face à l’adversité que nous supposons réel ou en tout cas qui fait échos en nous, la peur irrationnelle liée au symbolique qui renferme lui-même une carence archaïque, la peur de vivre dans un environnement qui renvoie à soi et à sa difficulté … Nous avons tous nos peurs. Pourtant la peur a mauvaise presse. Avoir peur c’est resté un enfant ! Avoir peur c’est ne pas être devenu un adulte ! Avoir peur c’est contester, agresser, combattre, stresser, se révolter. Avoir peur c’est aussi se soumettre, ne rien dire, rougir, bégayer, bafouiller, se taire, avoir honte. Avoir peur c’est aussi ne pas être accepté, aimé, regardé, reconnu, entendu, apprécié… Et si la peur était une réponse au manque de nous-mêmes, ce que nous pourrions appeler le manque à être, à exister, à la construction de soi pour vivre avec soi et dans un environnement supposé ? Et si la peur était l’incapacité de répondre à un désir de soi parce que mal construit, défaillant, carencé ?
Et si la peur veillait prudemment sur un risque de conflit interne entre deux instances pulsionnelles X et Y, l’une dans la construction et l’autre dans la destruction qui à la fois s’opposent pour de vieilles rancunes personnelles et se complètent l’une et l’autre depuis le début de notre vie en ayant appris à signer un pacte de stabilité. Non pas que l’une veuille conquérir l’autre et inversement, mais comme si chacune ressentait une tension, une forme d’excitation, de nécessaire passage à l’acte dans sa construction ou sa destruction pour se libérer, décharger sa tension. Une instance pulsionnelle X faite de vie, d’autosécurisation, et une instance pulsionnelle Y faite de destruction, d’agressivité, de combativité. Dans cette ambiance somme toute assez tendue un pacte de stabilité économique s'établit afin qu’aucune ne déborde dans un excès de toute puissance. C’est ainsi qu'il existe une forme d’entente diplomatique en chacun de nous. Aucune de ces instances pulsionnelles, X et Y, ne pourraient exister sans que l’une et l’autre n’existent, au risque de faire face à une sorte de tsunami intérieur déstabilisant le pacte stable de paix intérieur. La peur veille et alerte en cas d’instabilité en recevant les ordres d’une instance supérieure qui aurait pour rôle de préserver et transmettre les interdits, la morale et les valeurs.
Reprenons :
• Une instance supérieure serait garante des interdits, des valeurs et de la morale
• Une instance X serait orientée vers la construction
• Une instance Y serait orientée vers le démantèlement
• La peur veillerait à la stabilité et alerterait en cas de surenchère de X ou Y tout en recevant ses ordres de l’instance supérieure.
Nous comprenons alors que la peur est au service de la diplomatie intérieure et se met en alerte que s’il y a transgression de l’autorité de l’instance supérieure.
Du point de vue de la politique intérieur le pacte de stabilité entre X et Y s’est construit sur un passif (vieilles rancunes) où chacun a appris à ne pas vivre dans ses excès, en acceptant de réduire ses besoins et ses désirs, un juste milieu entre illusion et réalité. L'idée du pacte de stabilité est de forger une force intérieure par le ralliement des instances et par lequel l’intensité de l’agressivité se change en combativité nécessaire pour surmonter ce qui est ressenti comme difficultés externes. Néanmoins, entre X et Y la rancune demeure, chacun se surveille, prêt à faire valoir son rôle. On pourrait comparer cela au jeu du chat et de la souris et quand l’un laisse dépasser ses moustaches un peu trop l’autre en profite pour montrer ses griffes et fait mine de l’attraper mais seulement pour l’intimider.
Nous comprenons que l’instance pulsionnelle X est en faveur de la construction, de l’assouvissement des besoins, et de son autoconservation et que l’instance pulsionnelle Y serait en faveur de la déconstruction et d’une forme d’agressivité, d’annulation de la pulsion X. Un antagonisme surveillé de haut par l’instance supérieure. La peur serait donc du fait de sa diplomatie plus attirée par la personnalité de l’instance pulsionnelle X et veillerait à ce que la complète destruction du pacte de stabilité par Y ne se réalise pas. On peut comprendre que la peur n’a pas la tâche facile et que dans le cas où l’instance Y se serait souvent manifestée la peur resterait de plus en plus sur le qui-vive à protéger l’instance X tout en essayant de rassurer l’instance Y avec la complicité de l’instance X.
Il peut se passer que X et Y soient en tension, chacun tentant de convaincre l’autre diplomatiquement (analyse du pour et du contre). Si la tension diplomatique augmente le pacte est rompu et Y tente d’intimider X en faisant resurgir ses fantassins des mauvais souvenirs. Imaginez les deux instances : X avance et est soudainement retenu par la peur qui l’alerte d’un danger car Y manifeste soit des mauvais souvenirs de types agressifs sous formes de sensations ou de représentations, soit une réalité faisant appel à l’instinct de conservation que renferme l’instance X. Les capteurs sensoriels alertés par la peur sont en éveil et orientés vers Y. X avance prudemment en raisonnant stratégiquement sur le comment éviter le danger de l’anéantissement de son plaisir. Y est à l’affût, il guette sur le champ de bataille, il met en rang sa première ligne prête à déclarer le conflit. La peur comme un guetteur est également en discussion avec l’instance supérieure qui décidera comme un juge et martèlera son pupitre du risque du châtiment si la transgression des interdits est avérée. Dans ce cas plusieurs possibilités s’offrent telles que la culpabilité, l’acceptation des faits de façon adaptée, la fuite, la rébellion, ou l’attaque. La culpabilité repose certainement sur un sentiment individuel d’illégitimité d’acte, de parole, ou de pensées. En d’autres termes toute tentative de transgression d’une loi ou d’une parole de l’autorité paternelle renvoie à la crainte du châtiment par cette même autorité. De la crainte d’être châtié existe la peur du châtiment. Bien entendu tout cela est enfoui et même oublié mais les instances X et Y ont une mémoire et se tiennent mutuellement sur leur garde pour ne pas déchaîner le châtiment. Dans le cas de la rébellion, le conflit s’aggrave entre l’instance Y et l’instance supérieure, la peur s’écarte et se range du côté de l’instance X qui observe et attend son destin. La diplomatie est rompue, le pacte de stabilité entre X et Y n’existe plus. Pas de panique, dans la grande majorité des cas l’instance supérieure a son armée et rétablit l’ordre tout en laissant quelques sillons, des traces indélébiles qui marqueront néanmoins les instances. Le pacte de stabilité reprendra sa forme en incluant la nouvelle leçon de l’instance supérieure et la diplomatie entre X et Y reprendra sa place sous la bienveillance de la peur
Bon, reprenons :
• La peur est une émotion qui veille en silence à la diplomatie et la stabilité intérieure entre les deux instances X et Y
• La peur alerte d’un conflit interne ou d’un débordement entre deux instances X et Y
• La peur peut générer un sentiment de culpabilité par la crainte du châtiment de l’instance supérieur.
• La peur est un sentiment qui produit en nous une mise en action de stratégie de fuite ou d’attaque.
• La peur est un sentiment qui fait le lien entre ce qui s’est passé et ce qui pourrait se passer.
• La peur est un sentiment amplificateur et anticipateur
• La peur est un sentiment qui traduit un état intérieur en réaction à ce que nous ressentons de l’extérieur.
Si en pleine rue ou dans notre jardin un lion rugissant et affamé se présente alors la peur intervient pour nous mettre en garde de ne pas nous en approcher, nous signaler de repérer notre environnement, de réfléchir en une fraction de seconde à une solution de repli qui pourrait être désordonné et ressembler à la fuite mais qui serait en tout état de cause un sauve-qui-peut vivra. Ici la peur est basée sur un fait réel.
Il existe ces peurs dites irrationnels c’est-à-dire qui ne sont pas liées à un fait réel : les peurs liées au vide, à l’eau, à l’air, aux endroits clos, aux maladies, aux suivis administratif, etc.. Ces peurs sont appelées des phobies et restent la plupart du temps inexplicables à l’individu si ce n’est que par l’expression de ses ressentis.
Il y a aussi la peur de la transgression des lois sociales. Celles qui permettent le vivre ensemble et qui régissent les limites à ne pas dépasser dans le respect de soi et de l’autre qui est en quelque sorte l’instance supérieure, la morale, les valeurs sociales, l’intransigeance de la justice loyale et impartiale, qui ordonne ce qui est accepté, qui suggère de ne pas aller dans l’excès, comme un pacte de stabilité signé entre chacun de nous et constituant cet espace social…. en théorie. Tiens un peu comme notre modèle interne ? Ce qui voudrait donc dire que le modèle environnemental est semblable au modèle interne et prendrait exemple sur les exigences individuelles… en théorie. Cela pourrait nous conduire à concevoir que cet espace social soit la représentation de nos désirs, nos besoins, nos peurs et nos pulsions… ce qui amènerait alors à dire que cet espace pulsionnel est régi par une instance supérieure afin de ne pas transgresser les interdits qui veilleraient à ce que toutes les pulsions soient liées pour un mieux vivre ensemble. Ce qui impliquerait la rébellion de chacun lorsqu’il constate, de par ses représentations, que les interdits sont franchis, c’est-à-dire que la morale, les valeurs, la culture, ne sont pas respectés et que cette représentation de la transgression vient mettre de la confusion dans chaque esprit qui constitue l’espace sociale. Ainsi, pourrait-on dire qu’il pourrait être envisageable que la rébellion répondrait à un risque, c’est-à-dire à une peur anticipée, de déliaison des pulsions qui constitue l’espace social, c’est-à-dire une réaction au stress, combattante et en faveur du rétablissement du pacte de stabilité ?
Enfin il existe ces peurs appelées les peurs sociales, telles que la peur de l’échec, la peur de l’autre, la peur de réussir, la peur de ne pas être à la hauteur, la peur du ridicule, la peur de l’intimité, etc. Autant de peurs qui font l’individu. Autant de peurs qui rappellent à l’individu sa fragilité, ses carences affectives, ses difficultés à comprendre, ses difficultés à exister et à vivre, autant de peurs qui alertent sur qui nous sommes et sur l’existence de notre manque. Finalement ces peurs délimitent le contenant du contenu de chacun qui est lui-même dans un environnement constituant et constitué de ses limites à vivre. Pas facile le vivre ensemble ! Cela renverrait-il a vivre ses peurs dans une forme de solitude, à la fois dépendante mais s’efforçant d’être indépendante de la vie quotidienne ? Ainsi l’individu tait ses peurs en s’efforçant de les oublier et profite à son insu des interactions sociales pour projeter sur celles-ci sa recherche de rassurance qui viendrait illusoirement panser ses carences. Effectivement « On peut se défendre contre le danger extérieur en le fuyant et en évitant de le percevoir, tandis que la fuite ne sert à rien contre le danger qui provient de l’intérieur. » (Freud inhibition symptôme et angoisse). La peur est enfouie dans notre inconscient et peut resurgir au moment le moins attendu et faire référence inconsciemment à des peurs anciennes.
J.C. qui a 32 ans s’endort avec la veilleuse allumée, ce qui a surpris sa compagne le premier jour de leur rencontre bien avant leur mariage. Donc J.C s’endort avec la veilleuse sans laquelle il ressentirait une peur de s’endormir dont le point culminant serait d’avoir l’angoisse de ne pas pouvoir se réveiller. Il y a manifestement chez J.C un danger qui porterait atteinte à son intégrité et manifestement la veilleuse accompagne J. C à plonger dans son endormissement. De plus J.C est doublement rassuré puisque sa femme accepte la présence de la veilleuse, il est comblé, sécurisé, rassuré, entendu, reconnu. Par contre le problème est que J.C et sa compagne demeurent en banlieue parisienne et qu’il relate quelque fois ses sueurs froides lorsqu’il prend les transports en commun et qu’il se trouve dans le noir complet, dans les tunnels du métro parisien, lors d’une panne d’électricité. Mais J.C est prévoyant et part toujours de son domicile en emportant avec lui une petite lampe électrique qu’il allume au cas où, et le sauve de son désarroi et de sa peur : ses pensées s’allument alimentées par un circuit de secours.
Donc encore une fois la peur est un signal qui nous prévient d’un danger de privation ! Donc la peur permet d’anticiper pour préserver notre bien-être. Mais alors qu’est ce qui nous met en danger ? Ce que nous supposons comme quelque chose ou quelqu’un qui pourrait nous priver de ce qui nous apparaît comme primordial pour nous sentir ne faire qu’un avec nous-mêmes ; car enfin la peur sépare et si je n’ai pas confiance en quelqu’un je dirais « je crains sa réaction, je suis en insécurité, je m’en écarte ». En tout état de cause la peur se déclenche comme un signal d’alarme lorsque le fonctionnement interne prévoit un danger imminent de destruction, de disparition, d’amputation, de privation de ce qui existe et nous produit du bien-être, donc sécurisant. Par conséquent la peur est une anticipation de mal être c’est-à-dire de ne plus être en tranquillité sécurité avec soi ou son environnement. N’oublions pas que la peur reste un signal d’alarme sur ce qui pourrait arriver et non pas sur ce qui arrive. Comment se fait-il que certains succombent à la peur et que d’autre au contraire s’en sorte. Oui mais s’en sortent de quelle manière et dans quelle condition ? C’est bien la question, et à cette question il existe autant de réponse qu’il y a d’individus. C’est bien tout l’intérêt de l’Homme Complexe. Également la peur est un sentiment amplificateur qui renforce la gravité de ce qui pourrait arriver sans que cela ne soit encore advenu.