FAIRE LE DEUIL, ÇA VEUT DIRE QUOI ?

auteur : Alain GIRAUD ©2023

« Faire le deuil » est une expression facilement utilisée mais difficile à effectuer car perdre un lien affectif c’est toujours un passage dans lequel sont éprouvés des émotions et des affects qui viennent se heurter les uns aux autres.

Au sujet du deuil, le terme " perte ", qui en est la cause, comprend tant la séparation que le décès dans une relation amoureuse, filiale, amicale, ou professionnelle. La douleur ressentie par la perte est proportionnelle à l'investissement affectif conscient ou inconscient du sujet vers un autre.

L'expression "faire le deuil" peut être traduite par une motivation individuelle qui vise à se séparer de l'objet investi affectivement de manière consciente ou inconsciente. La tâche est d’autant plus ardue que l'attachement qui perdure produit une douleur intense pour le sujet. L'objectif du deuil est de s'en détacher, de se réapproprier l'investissement affectif et d'en faire quelque chose de légitime et partagé en vue de sublimer ou transcender cette douleur.

Dans son travail sur le sujet du deuil, Louis Côté, psychanalyste Canadien nous rappelle en introduction que « L’irrémédiable disparition de l’objet impose au moi un travail psychique auquel il ne peut se soustraire » . En d’autres termes que la perte de quelqu’un ou de quelque chose à forte représentation affective, que ce soit à cause d’une séparation ou d’un décès, engage le sujet à faire un effort considérable pour accepter l’absence de ce qui a été. Par conséquent faire le deuil est un travail sur soi. Il réside essentiellement dans celui de l'acceptation que ce qui a été n’est plus là physiquement. Les pensées et les souvenirs restent et peuvent conduire vers des émotions persistantes de tristesse et de colère et d’autres affects. Par conséquent le deuil a deux orientations le deuil psychique c’est-à-dire les pensées conscientes et inconscientes (refoulées) et le deuil physique c’est-à-dire tout ce qui est du domaine de la présence de l’autre.

Le deuil psychique et le deuil physique sont intriqués et l’un ne peut pas se faire sans l’autre. C’est en ce sens que faire le deuil c’est faire un travail sur les pensées et les souvenirs qui sont liés à l’objet perdu et aussi sur l’absence physique de ce qui représente la perte. L’acceptation de ce qui a été perdu nécessite un temps plus ou moins long. Il s’agit du temps nécessaire au sujet endeuillé pour « accepter » que ce qui a été perdu ne fasse plus partie de sa vie, de ses pensées et de son environnement, quelle qu’en soit la cause, par séparation ou par décès. Accepter ne veut pas dire oublier mais bien au contraire accepter la perte comme faisant partie de la vie du sujet endeuillé.

Les rituels dans le deuil


Le respect des rituels qui s'inscrivent dans les repères d'espaces et de temps, et l'expression des ressentis par la parole sont très importants. Ils aident à l'acceptation de la douleur de ne pas retrouver, de ne pas avoir eu, d'en avoir été privé, ou de devoir s'en séparer. À l’inverse, la répression de ce qui est ressenti emmure le sujet par son silence dans le bruit de ses pensées et provoque un déséquilibre qui vient fragiliser voire fissurer son économie psychique. J. Bowlby écrit qu’ "A partit de là, ils demeurent des systèmes actifs au sein de la personnalité mais, incapable de trouver une expression directe et manifeste, ils en viennent à influencer le ressenti et le comportement de manière étrange et déformée. "

La nécessité des rituels permet au sujet d'exprimer non seulement sa tristesse, sa colère, et aussi son amertume d'une façon ou d'une autre. Que le deuil soit physique ou psychique le processus de survie pour le sujet est semblable. L'expression des affects par les mots sur les maux ressentis crée une résonance qui fait échos et sort le sujet de sa propre solitude.

Repère temporel dans le deuil


J-D Nasio prend l’exemple de Hamlet pour illustrer le temps nécessaire à la perte « Hamlet quand son père est enterré à la va-vite, sans cérémonie ni funérailles, sans que rien n’assure ce temps psychique indispensable pour accepter que l’autre n’est plus. » En d’autres termes il est nécessaire d’avoir un temps de recueillement plus ou moins long pour pouvoir repenser à ce qui a été vécu, pour revivre les souvenirs, se remémorer le temps passé, regretter de ne pas avoir dit ou montrer, etc. En d’autres termes réserver le temps de mettre des pensées et des mots sur les maux liés à la perte. J-D Nasio marque l’importance du rituel « Qu’est ce qui fait qu’un deuil n’est pas élaboré ? C’est le manque de temps, et l’absence du rituel. Et qu’est-ce qu’un rituel ? Un rituel c’est le temps nécessaire pour reprendre la représentation de l’objet perdu, la surinvestir et enfin peu à peu s’en séparer. » En d’autres termes une des composantes importantes du deuil est le temps nécessaire à une élaboration interne, de soi à soi, pour accepter ce qui est perdu, c’est-à-dire ne plus le chercher à l’extérieur de soi. Un temps différent pour chacun, plus ou moins long, et pendant lequel l’élaboration se fera selon des phases distinctes l’une de l’autre.

Le repère spatial dans le deuil


C’est celui de l’espace, c’est-à-dire la place que le sujet a réservée à ce qui a été perdu tant dans l’environnement psychique c’est-à-dire les pensées où chacun pense à l’autre que dans l’espace physique et environnemental où chacun touche, voit, regarde, parle. Lors de la perte, ce repère spatial se transforme en une présence absente pour le sujet et les souvenirs prennent progressivement place et remplacent ce qui a été présent. Ce travail fait appel à l’acceptation c’est-à-dire accepter que ce qui a été ne soit plus. Ce qui a été perdu avait une place dans l’environnement du sujet et par conséquent faisait partie des repères spatiaux du sujet. La perte d’un repère spatial entraîne un déséquilibre à la fois psychique et physique. Le sujet doit se réorganiser et s’adapter à l’absence de ce qui a été perdu. Un réaménagement physique de l’environnement est nécessaire tout en considérant le traumatisme de la perte de l’objet qui a été investi affectivement. À propos de l’environnement S. Freud avait déjà identifié que « la disparition de l’objet provoque un appauvrissement de l’extérieur » .

En résumé


Le temps d’élaboration contient différentes phases qui pourraient être définies par des temps d’introspection, de réflexion, et de distanciation qui eux-mêmes renferment l’expression des affects traduits par le corps. Cela m’amène à dire que les pleurs, la tristesse, les expressions du corps se manifestent nécessairement dans les situations de perte et sont la résultante du système de pensée qui lui-même est issu des représentations c’est-à-dire du système psychique du sujet. Par conséquent pour faire le deuil, c’est-à-dire accepter de se séparer de ce qui est perdu, il est nécessaire de considérer les différentes phases qui le constituent et dans lesquelles vont s’exprimer les émotions et affects du sujet endeuillé.

Les phases du deuil


Le deuil entraîne des affects, des émotions, tels que la tristesse, la colère, le chagrin, jusqu’à ce que la perte soit acceptée, c’est-à-dire admise par le sujet endeuillé comme faisant partie de sa vie à venir. J. Bowlby décrit quatre phases psychiques plus ou moins longues dans les effets du deuil « 1. La phase d’engourdissement dont la durée s’étend généralement de quelques heures à une semaine et qui peut être interrompue par des explosions de détresse et/ou de colère extrêmement intense. 2. La phase de languissement et de recherche de la personne perdue, qui dure de quelques mois à quelques années souvent. 3. La phase de désorganisation et de désespoir. 4. La phase de plus ou moins grande réorganisation. » Pour la plupart d’entre nous, nous avons vécu ces différentes étapes à notre manière, nous avons tous fait des deuils. Le deuil n’est pas seulement attribué à la mort d’une personne mais aussi à la perte, à la séparation d’un être aimé, et devient ce qui manque. Par conséquent le deuil c'est accepter ce qui manque et accepter c’est se réorganiser avec ce qui n’est plus.

À propos de la perte J.D Nasio rappelle Lacan et écrit que « Dans une des leçons de son séminaire consacré au thème de l’angoisse, Lacan dit : Nous sommes en deuil de celui pour qui nous avons été - sans le savoir à la place de son manque » . La douleur de la perte que nous ressentons est celle de ne plus avoir la place dans la vie de l’autre puisque l’autre n’est plus. En d’autres termes, il s’agit de la perte d’une partie de soi dans l’autre qui n’est plus. Cela reviendrait à dire que si l’autre n’est plus alors toute la quantité affective qui a été investie dans l’autre erre sans trouver de port d’attache. C’est donc dans un processus de récupération de la quantité affective que nous nous trouvons dans ce cas. C’est-à-dire réintégrer en soi ce qui ne peut plus être confié à un autre et renvoie au sentiment de solitude si fréquemment ressenti dans ces cas. Ce qui intéresse ici est que la capacité à accepter sa solitude en reprenant sa quantité d’affectif pour en faire quelque chose avec et à partir de soi. Faire le deuil c’est accepter sa propre solitude dans le cas de la perte du lien affectif avec l’autre et de son absence.

En conclusion


Faire le deuil c’est arriver à accepter que ce qui a été n’est plus et fait partie de la vie de la personne endeuillée. L’acceptation d’une séparation, d’une perte, d’un décès, d’un déménagement, présente toujours des difficultés à toute personne. Le deuil symbolique ou deuil psychique sont également à considérer. Le psychisme peut refouler des deuils non effectués qui peuvent ressurgissent dans notre vie et produire des déséquilibres, des angoisses, de l’anxiété, des phobies, des obsessions, etc. Il s’agit de pendre en compte que tout symptôme psychique est souvent le fruit d’un deuil non fait ou mal effectué.