LA PARENTIFICATION
Pour définir la parentification, c’est un processus qui conduit un enfant au sein de sa famille à prendre des responsabilités importantes qui ne correspondent pas à son évolution ni à sa maturité affective. En d’autres termes, l’enfant devient parent de son ou ses parents.
Si au sein de la famille l’enfant est responsabilisé de temps en temps, sans abus, et en bonne entente entre lui et le parent pour l’aider ou rendre service et surtout s’il est valorisé, reconnu et remercié pour le service qu’il rend, alors cela peut être une expérience qui lui permet de favoriser l’identification au parent, de renforcer l’estime et la confiance en soi.
Dans le cas contraire de ce qui vient d’être évoqué, c’est-à-dire abus, non-reconnaissance, demandes injonctives et répétées fréquemment, alors la situation devient un lourd fardeau à porter pour l’enfant qui s’efforcera néanmoins de s’acquitter des tâches qui lui sont confiées pour échapper à la dette. Et c’est là que le processus de parentification se développe et l’enfant fait tout ce qui est en son pouvoir pour réaliser ce qui lui est demandé au détriment de ses propres désirs et de ses compétences. La seule chose qui existera est la satisfaction du désir du parent aux dépens du sien. En cas de non-réussite à satisfaire le désir du parent, c’est-à-dire à accomplir la tâche donnée, alors l’enfant s’installe dans la culpabilité de ne pas réussir à devenir le bon parent dont les parents ont besoin et de ne pas être le bon enfant que les parents souhaitent avoir.
AUTRES CAS DE PARENTIFICATION
Le processus de parentification peut s’établir lorsque les deux parents sont eux-mêmes dans un désaccord de services rendus entre eux pouvant provoquer un conflit permanent. Il n’est pas rare que l’enfant soit convoqué en tant que tiers qui vient rendre ce service et satisfaire l’un des parents qui reste en conflit larvé avec l’autre. Dans ce cas l’enfant devient celui qui est le lien entre les deux parents qui tente de rétablir la bonne entente entre eux en évitant les désaccords entrainant le conflit. Notons que dans ce cas, le bénéfice secondaire de l’enfant est d’avoir des parents qui ne sont pas en désaccord ni en conflit et qui pourraient dans ce cas satisfaire à ses besoins et ses désirs d’équilibre familial.
Un autre processus de parentification se rencontre fréquemment est celui du parent malade. L’enfant est alors sollicité au chevet de son propre parent pour lui prodiguer les soins nécessaires. Il devient l’enfant soignant accompagnant le parent dans ses démarches médicales. Que le parent soit dépressif, ou atteint d’une autre pathologie nécessitant une assistance quotidienne ou d’urgence l’enfant devient l’assistant du parent ou des deux parents.
Un autre peut être identifié dans une famille avec un problème d’alcool, de drogue, ou de tentative de suicide, l’absence de l’autre figure parentale, entraine l’un des enfants à assumer des responsabilités parentales.
Un autre cas de parentification peut être repéré dans les relations ou l’enfant devient le confident du parent, de ses peines de cœur, de sa tristesse, ou de sa difficulté à vivre. Mais comment exister soi-même quand le parent a du mal à exister ?
ENVIRONNEMENT NON-SECURISANT
John Bowlby explique dans la théorie de l’attachement qu’Il faut bien comprendre que le processus de parentification fournit à l’enfant, qui a subi un lien d’attachement non sécurisant, un moyen efficace de rester à proximité d’un bon parent. Le lieu non-sécurisant ne permet pas à l’enfant de s’en détacher souvent psychiquement et quelques fois physiquement. L’attachement et le prendre soin nourrit par la peur de voir son ou ses parents disparaître peuvent conduire l’adulte à rester dans cet attachement aux parents en étant freiné dans son propre développement.
Nous pouvons comprendre que l’enfant parentifié n’est pas dans un apaisement auquel il a le droit. Bien au contraire il est dans une sollicitude tournée vers l’autre et à ses dépens. L’absence de reconnaissance de la sollicitude de l’enfant tourné vers lui-même sous l’œil attentif du parent, conduit l’enfant à fragiliser sa confiance en lui, son estime de soi, sa valorisation en tant qu’être en quête de son individuation pour entrer dans le monde de façon autonome. Comprenons bien que la parentification développe une forme de dépendance que l’enfant devenu adulte ne pourra pas se défaire. L’enfant grandissant aura toujours besoin d’un objet d’étayage dans ses relations, objet à aider, objet à sauver, objet à accompagner, sous peine de culpabilité et de devenir son propre parent victime et persécuteur à ne pas pouvoir le sauver.
LA NON RECONNAISSANCE DU SERVICE RENDU ET L’EMPIÈTEMENT PAR L’ENVIRONNEMENT DE L’AUTRE
L’enfant essaie d’offrir pour constater et recevoir en retour un signe gratifiant d’amour, d’appartenance, venant valoriser son être grandissant. À l’inverse le déni, le refus, le mépris, la réprimande, l’indifférence à ce qu’il essaye de donner, peuvent stopper nette l’équilibre psychique de l’enfant. Dans ce cas l’enfant sera toujours à la recherche de la satisfaction d’autrui sans pour autant pouvoir accepter sans culpabilité ce qui pourrait lui être offert. L’environnement de l’adulte empiète sur celui de l’enfant qui ne peut plus se construire dans sa temporalité. Winnicott décrit le processus de l’empiètement par l’objet ou par l’environnement, comme un processus ou le narcissisme de l’enfant est empiété par les besoins de l’autre et l’enfant devenu adulte s’enfermera dans un faux self (s’adapter au désir de l’autre au détriment du sien) au lieu de développer son self propre au profit de son autonomie. Derrière le faux self se cache la dépendance à l’objet à l’environnement de l’autre sans lequel la tendance dépressive peut émerger signifié par des retraits narcissiques ou autrement dit des repliements sur soi.
Chez certains adultes, anciens enfants parentifiés, on peut remarquer des pathologies de dépendance à l’objet, c’est-à-dire à l’autre, à travers des attitudes compulsives, c’est-à-dire nécessaires et vitales, à soigner, prendre soin, s’oublier dans le sacrifice à l’autre. Très souvent, écrit Bowlby, ce sont des adultes qui ont développé dans leur enfance la responsabilité de prise en charge de leur (s) parent (s). Également associée à cette attention compulsive la tendance anxieuse émerge c’est la peur de ce qui pourrait se passer. Par conséquent le caractère névrotique obsessionnel peut également prendre sa place par un souci prononcé de contrôler l’environnement par la crainte inconsciente d’être débordé par son incapacité.
LES POSSIBLES CONSÉQUENCES DE LA PARENTIFICATION
- Manque de confiance en soi et en les autres avec évitement des conflits et difficulté à demander de l’aide.
Problématique de place, de rôle (suite à l’inversion des rôles vécue dans l’enfance)
- Quête de reconnaissance : ce qui l’amène souvent à trop donner, à vouloir sauver l’autre, à se conformer socialement (en se dénaturant)
- Problématique liée au plaisir : difficile de s’accorder du temps, du repos, des cadeaux, de satisfaire ses besoins ou envies (souvent
méconnus), etc. Ces adultes fonctionnent exclusivement par devoir et sont souvent coupés de leur ressenti.
- Problème d’identité : par identification au parent défaillant (effondrement narcissique) qui propose une image dévalorisante et honteuse
- Dépendance affective qui se manifeste soit par une tendance à la relation fusionnelle et exclusive (rêve d’être pris en charge), soit par la
fuite ou l’évitement pour maîtriser la distance relationnelle.
- Pseudo-maturité : image sérieuse mais maturité affective figée à l’époque de la prise en charge du parent. De ce fait, a plutôt tendance à être
à l’aise avec des personnes plus âgées que lui. En fait, la juste maturité vient avec l’enseignement tiré des erreurs
- Besoin de contrôle et de maitrise pour masquer un vide intérieur
- Besoin d’être parfait et irréprochable
- Sentiment d’échec va le tarauder toute sa vie : une fois adulte, il va sans cesse essayer de réussir là où il a échoué avec son parent et il va
ainsi essayer de reproduire avec toutes les personnes qu’il aime ce même schéma de prise en charge désespéré (mais de toute façon toujours vouées à l’échec), et cela, même si cette personne ne le demande pas !
DÉCONSTRUIRE LE PROCESSUS DE PARENTIFICATION ET GÉRER LA CULPABILITÉ, C’EST POSSIBLE !
Quand le processus de parentification est identifié au sein de la famille, il n’est jamais trop tard pour rétablir un bon fonctionnement au sein de la cellule familiale. Redonner la juste place à l’enfant ou à l’adolescent engage, le ou les parents, à reconnaitre ses erreurs d’éducation en discutant à ce sujet avec les concernés. Il est également indispensable de convoquer la reconnaissance, les remerciements, la valorisation, et surtout de décider de stopper tous les agissements de parentification qui ferait prendre à l’enfant ou à l’adolescent une place de parent qui n’est pas la sienne. L’enfant ou l’adolescent ne peut pas devenir le parent du parent mais a surtout besoin d’être aidé, accompagné et supervisé par un parent en tant que responsable de lui et auquel il pourra s’identifier. Toute personne qui prend conscience d’avoir installé un processus de parentification et souhaitant l’interrompre avec efficacité peut se faire aider par un psy qui pourra le conseiller en ce sens.
Corolairement, il est important de pouvoir réparer la culpabilité portée par l’enfant ou l’adolescent. Le discours bienveillant des parents doit faire autorité et veiller quotidiennement à solliciter la propre sollicitude auquel le sujet a droit. Redécouvrir ses désirs, apprendre à accepter de recevoir, apprendre à se faire plaisir et respecter ses choix, permettra à l’enfant, l’adolescent, l’adulte, de déconstruire la culpabilité liée à la parentification.
Bibliographie
A. Ciccone De l’identification à l’empiètement dans l’expérience de l’intime
D.W. Winnicott, jeu et réalité
J. Bowlby, la théorie de l’attachement
J.F LE GOFF l’enfant parent de ses parents
S. Haxhe, L’enfant parentifié et sa famille, Toulouse, coll. Relations, Erès, 2013.