S. Freud fait part de ses réflexions qui sont intimement liées à l'élaboration de sa pensée. Il partage humblement sans chercher à détenir la vérité. Tous ses contradicteurs de l'époque à aujourd'hui se sont fourrés plus qu'un doigt dans l'œil jusqu'à ne voir qu'un seul côté de sa pensée.Il nous invite à interroger les principes de plaisir et de réalité en les mettant en rapport avec les pulsions de vie et de mort. Il en dissèque le fonctionnement et n’hésite pas à remettre en cause ses précédentes théories. Il nous fait voyager dans son analyse géographique psychique. Il nous conduit à revisiter les principes pulsionnels et ceux du plaisir et de la réalité. Il nous tient en haleine en tournant autour de l’intrication des pulsions et très certainement du plaisir et de la réalité du sujet. Il est nécessaire de rappeler que les écrits de S.Freud n'ont rien d'une finalité et il le dit lui-même. C'est une recherche pour laquelle il souhaite que d'autres poursuivent ce travail de réflexion.
En 1920, Freud pose question sur le plaisir et le déplaisir; il y a une surcharge d’excitations psychiques, explique-t-il, qui produirait une tension dont les sensations sont déplaisantes tout en sachant que la décharge de cette surcharge conduirait à un état d’apaisement pour l’appareil psychique. Mais même si le principe de plaisir est dominant il n’obtient pas toujours gains de cause. En se référant aux travaux de Fechner, Freud introduit le but du principe de plaisir qui serait de supprimer les sensations déplaisantes. Mais le sujet est aussi en relation avec la réalité du monde extérieur qui ne va pas le satisfaire pleinement et produit du déplaisir. Freud dit à ce propos que le principe de réalité retarde l’accès à la satisfaction pleine et entière alors que le le sujet pouvait le vivre dans les premiers mois de son enfance. Celui-ci devra emprunter des chemins détournés pour y parvenir. De plus le sujet étant constitué d’éléments psychiques consécutifs à son développement depuis sa conception et de ses frustrations qui ont pu s’inscrire comme microtraumatismes en lui, alors : « presque toute l’énergie qui remplit l’appareil provient des motions (mouvements) pulsionnelles innées mais il ne leur est pas loisible à toutes d’atteindre les mêmes phases de développement.»
Ce sont les pulsions qui créent l’énergie psychique. Certaines vont créer un point de satisfaction et s’agglutiner entre elles, celles qui ne trouvent pas satisfaction vont être refoulées dans l’inconscient et vont errer dans le psychisme. Ces insatisfactions, insurmontables pour l’enfant, vont être refoulées dans l’inconscient, presque oubliées. Mais, nous dit Freud, si bien plus tard il y a tentative de retour dans la réalité de ce qui a été refoulé pour obtenir une satisfaction alors cela produit chez le sujet un déplaisir. Ce processus inconscient du retour du refoulé dans sa satisfaction immédiate ne peut être conscientisé par le sujet lui-même. Le sujet a besoin de prendre conscience pour accepter, identifier, ressentir et anticiper la satisfaction. C’est ainsi qu’un refoulé infantile ne peut pas être satisfait de la même façon lorsque le sujet est devenu adulte. Le retour de ce refoulé de l’inconscient au réel est une nouvelle fois refoulé par le sujet lui-même. Ce processus nous dit Freud serait la cause d’insatisfactions névrotiques. Nous comprenons à ce stade que le plaisir et le déplaisir sont des mouvements pulsionnels et que ces derniers ont pour but la satisfaction de leurs insatisfactions anciennes et refoulées; « La plus grande part du déplaisir que nous éprouvons est en effet du déplaisir provoqué par des perceptions. Il peut s’agir de la perception (endogène) de la poussée de pulsions insatisfaites ou bien d’une perception extérieure (exogène), qu’elle soit pénible en elle-même ou qu’elle éveille des attentes déplaisantes et soit reconnue comme « danger». »
S. Freud bute sur les névroses traumatiques et traumatismes de guerre. Ils viennent remettre en question sa thèse sur «la tendance du rêve à accomplir le désir». En d’autres termes il se questionne sur le retour du traumatisme et l'incapacité du principe de plaisir à dominer. Il nous raconte la découverte par l’enfant d’un an et demi du jeu de la bobine et celui du miroir. Il distingue par ce premier la capacité de l’enfant au renoncement de la satisfaction de la pulsion. Il y aurait donc ici un principe de réalité en lien avec celui du plaisir mais qui pour autant ne provoque pas un déplaisir pour l’enfant. Il remarque que l’enfant a transformé la situation déplaisante de la disparition et de la réapparition en un jeu répété et assez plaisant. Par conséquent la maîtrise du jeu et de sa situation permet à l’enfant d’être maître de la situation et non pas le contraire. Pour aller plus loin dans sa réflexion S. Freud a observé longtemps l’enfant et avait remarqué qu’il faisait de même avec ses jouets dont chacun d’entre eux avait une valeur symbolique que l’enfant signifiait avec des mots au fil du temps. A chaque action de jeter le jouet, qui représentait quelqu’un de son entourage déplaisant, l’enfant accompagnait son geste d’une décharge pulsionnelle qu’il verbalisait. Ainsi le jouet contrôlé par l’enfant représentait une situation déplaisante dont l’enfant se rendait maître plutôt que victime de sa passivité:« Nous avons bien là, dit S. Freud, la preuve que, même sous la domination du principe de plaisir, il existe plus d’une voie et d’un moyen pour que ce qui est en soi déplaisant devienne l’objet du souvenir et de l’élaboration psychique.» Parlerait-il de l’opération de sublimation ?
Concernant le travail psychanalytique, dans un premier temps ce fut celui de l’interprétation, ensuite celui de la confirmation par le patient, puis le travail sur les mécanismes de défense à identifier avec le patient pour que l’inconscient s’éveille à la conscience. Malgré cela il reste toujours des résidus plus ou moins important que le sujet répète dans sa vie quotidienne à travers le transfert (œdipien) au lieu de le conscientiser et en devenir maître et non plus victime. Quand le patient est en capacité d’identifier son transfert qui est une répétition de son passé infantile alors il peut progressivement se libérer des éléments qui font sa névrose de transfert et résoudre progressivement « la compulsion de répétion ». Les résistances, autrement dit les mécanismes de défense, appartiennent à la partie du moi qui se trouve placé dans l’inconscient. Il existe des éléments insatisfaits qui ont été refoulés et qui vont réapparaître de plein fouet mais qui sont freinés par ces résistances. Ces dernières vont permettre de refouler ces éléments refoulés en les transformant pour disparaître au sujet dans ses actions de la vie quotidienne. En plus simple, il y a une partie du moi du sujet qui est inconsciente, « qui est le noyau du moi », et une autre préconsciente et consciente. Pour paraphraser Freud, l’action de la cure analytique est d’aller à la rencontre du refoulement du sujet (dans l’inconscient) pour permettre son relâchement en passant par le préconscient (les souvenirs) puis par la prise de conscience (le conscient). C’est en quelque sorte une reliaison des pulsions déliées, nous verrons cela au paragraphe suivant. Freud en vient à la conclusion qu’il existe une compulsion de répétition bien au-dessus du principe de plaisir et qui conduit les uns à revivre leurs traumatismes dans leurs rêves tout comme l’enfant rejoue au jeu de la bobine pour contrôler ses allées et venues: « Mais s’il existe dans le psychisme une telle compulsion de répétition, nous voudrions bien en connaître quelque chose: à quelle fonction elle correspond, dans quelles conditions elle peut intervenir et dans quelle relation au principe de plaisir dont, après tout, nous avons jusqu’ici admis la domination sur le cours des processus d’excitation dans la vie psychique ? »
La conscience transmet vers l’intérieur les stimulus qui viennent de l’extérieur; les sensations de plaisir et de déplaisir réagissent à ces stimulus. Dans le processus conscient l’excitation devient consciente et par conséquent non-durable et s’installe dans le préconscient en traces durables qui s’installent et forme la mémoire.Freud fait l’hypothèse d’un conscient en deux surfaces: l’une tournée vers l’extérieur qui est le conscient et l’autre tournée vers l’intérieur qui est le préconscient-conscient. Entre le conscient et la réalité (réel) le pare-excitation filtre les stimulus extérieurs, tout en laissant passer certains vers l’intérieur. Les stimulus produisent des sensations de plaisir et déplaisir, le premier étant toujours celui qui prédomine dans le désir du sujet. La régulation des stimulus servira « d’index au processus intérieur de l’appareil. » Les stimulus internes provoquant trop de déplaisir seront refoulés dans l’inconscient. Dans ce dernier cas, pour libérer le sujet de la poussée de ces éléments refoulés, le mécanisme de défense inconscient du moi comme la « projection » est utilisé. Il intervient comme si le stimulus provoquant l’excitation venait de l’extérieur plutôt que du sujet lui-même. Il peut en être déduit que les mécanismes de défense travaillent au profit du principe du plaisir en surface sans réellement éradiquer le stimulus qui n’aura de cesse de réintervenir sous la forme du déplaisir. D’un point de vue économique l’utilisation des mécanismes de défense utilisent beaucoup d’énergie psychique donc épuisent le sujet. « Nous appelons traumatiques les excitations externes assez fortes pour faire effraction dans le pare-excitation. On peut, je crois, tenter de concevoir la névrose traumatique comme une conséquence d’une effraction étendue du pare-excitation.» Suite à un stimulus l’investissement en énergie psychique est de deux mode: l’un étant libre et provoquant une décharge de cet énergie contre l’intrusion mais ne favorisant pas la protection contre la névrose traumatique, l’autre étant lié et donnant lieu à un équilibre énergétique favorisant la protection contre cette même névrose.
Dans les rêves, les pulsions sont libres, non liées, contrariées, elles exercent une poussée. C’est ce que Freud a appelé le processus primaire. Le processus secondaire est au contraire la liaison des pulsions par les couches supérieures de l’appareil psychique, dont la visée est l’abaissement de l’excitation pulsionnelle contrariée. Pour se faire l’appareil psychique a pour rôle de maitriser et contrôler l’excitation pulsionnelle indépendamment du principe de plaisir. Quant à la compulsion de répétition, elle est la réitération d’événements refoulés de l’enfance dans l’inconscient et qui suit un « processus primaire », c’est-à-dire d’une pulsion non élaborée, non liée par la couche supérieure de l’appareil psychique. La répétition de la pulsion vise à frayer un nouveau chemin en se répétant : Soit elle passe au processus secondaire, soit elle reste en l’état non lié du processus primaire et à nouveau refoulée. Elle va réapparaitre dans les opérations transférentielles du sujet. Freud indique que la poussée pulsionnelles de ces souvenirs infantiles serait le désir inconscient du sujet à effectuer une régression. Alors que les pulsions, nous dit Freud, visent à regagner un état antérieur, elles sont stimulées par « des influences extérieures » c’est-à-dire le principe de réalité qui vise à changer le but des pulsions vers une progression. Néanmoins cette progression a un terme puisqu’elle conduit à la mort. Ainsi, dit-il, « le but de toute vie est la mort et, en remontant en arrière, le non-vivant était là avant le vivant. » Mais ne nous trompons pas, le but du sujet est l’allongement de sa vie et non pas la régression à un état antérieur. Pour cela le sujet s’efforce à s’opposer inconsciemment à tout ce qui ne lui permettrait pas de vivre au sein des autres êtres vivants, en tant qu’être individué. « La pulsion refoulée ne cesse jamais de tendre vers sa satisfaction complète qui consisterait en la répétition d’une expérience de satisfaction primaire; toutes les formations substitutives et réactionnelle, toutes les sublimations ne suffisent pas à supprimer la tension pulsionnelle persistante; la différence entre le plaisir de satisfaction exigé et celui qui est obtenu est à l’origine de ce facteur qui nous pousse, ne nous permet jamais de nous en tenir à une situation établie. »
Il y a donc la pulsion régressive, dite de mort ou thanatos, et la pulsion sexuelle, au sens large du terme, dite de vie, Eros : « Deux sortes de pulsions : celles qui cherchent à conduire la vie à la mort et les autres, les pulsions sexuelles, qui indéfiniment tendent et parviennent à renouveler la vie. » Freud poursuit ses recherches sur les pulsions de vie et de mort et la théorie de la libido qui serait constitué de la neutralisation des pulsions de mort par la pulsion de vie. Notons que ce que Freud interroge ici c’est le clivage entre les deux pulsions alors que nous savons aujourd’hui que l’intrication des pulsions forme la libido ou on y retrouve la pulsion de mort sublimée.Si les pulsions sexuelles donnent la vie et les pulsions de mort visent à éteindre la vie comment les deux peuvent coexister dans le moi alors qu’elles vont toutes les deux dans des sens inversés ? La mort est au cœur de ses préoccupations et il compare les mondes animal et humain. Il évoque l’idée que seul le corps meurt et que les cellules germinales persistent en trouvant une nouvelle enveloppe. Poursuivant sa réflexion, il s’interroge sur la reproduction comme pulsion de vie par la transmission intercellulaire. La reproduction, l’accouplement, est à la fois la transmission de la vie mais aussi celle de la mort.
la libido retirée de l’objet et orientée sur le moi, c’est bien ce que le sujet, dans sa névrose de transfert (hystérie d’angoisse, hystérie de conversion et obsessionnelle), tente d’effectuer dans ses relations avec l'autre. Par conséquent le moi apparait comme le réservoir de la libido, il tente de recevoir ce qu’il n’a pas reçu et viendrait nourrir son narcissisme. La libido du moi devient la libido narcissique. Freud est loin d’être avare de ses réflexions et s’en réfère à ses confrères. La théorie de la libido de Yung fait question. Effectivement ce dernier expose que la libido n’est pas la pulsion sexuelle mais la force de la pulsion ou autrement dit l’énergie que celle-ci va produire. L’idée est intéressante pour Freud mais elle vient tellement bouleverser le dualisme entre pulsion de mort et pulsion de vie, il préfère la mettre de côté. Puisqu’il existe dans la pulsion sexuelle une part de sadisme, sa réflexion le conduit à identifier qu’il peut exister une cohabitation entre pulsion sexuelle et pulsion de mort. L’avancée lui paraît hasardeuse mais il s’y aventure : « L’emprise amoureuse de l’objet coïncide avec l’anéantissement de celui-ci; plus tard la pulsion sadique se sépare, et finalement, au stade où s’est instauré le primat génital, en vue de la reproduction, elle assume la fonction de maîtriser l’objet sexuel, dans la mesure où l’exige l’accomplissement de l’acte sexuel. »
En fait je peux considérer que Freud s’approche à petits pas de l’intrication des pulsions quand il dit son hypothèse : « le processus vital de l’individu conduit pour des raisons internes à l’égalisation des tensions chimiques, c’est-à-dire à la mort, tandis que l’union avec la substance vivante d’un individu hétérogène augmente ces tensions, introduisant pour ainsi dire de nouvelles différences vitales qui doivent alors être réduite par la vie . » Freud interroge l’abaissement total des tensions et son principe de nirvana mais qui induirait par cela la mort. Ce qui reviendrait donc à dire que l’abaissement totale des tensions serait la mort et qu’un juste équilibre de la tension conviendrait à la vie de l’individu.
S. Freud a interrogé le principe de plaisir et le principe de réalité en les mettant en rapport avec les pulsions de vie et de mort. Il a dissèqué leur fonctionnement et n'a pas hésité à remettre en cause ses précédentes théories. Il a fait voyager dans une analyse géographique pour trouver où sièges les pulsions. Il nous a conduit à revisiter les principes de la pulsions et ceux du plaisir et de la réalité, il nous a tenu en haleine en tournant autour de l’intrication des pulsions. Il dit : "Nous avons reconnu que l'une des fonctions les plus précoces et les plus importantes de l'appareil psychique est de "lier" les motions pulsionnelles qui lui arrivent, de remplacer le processus primaire auquel elles sont soumises par le processus secondaire, de transformer leur énergie d'investissement librement mobile en investissement en majeure partie quiescent (tonique)."
A. Giraud